Retour à Clairval, 1ère partie : La souillure gobeline

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COcouvSpécial Jeu de rôle

Les Chroniques Oubliées

Retour à Clairval

1ère partie : La souillure gobeline

Asnières

 

Le jeu re rôle fait partie de ces lubies d’enfant qui grandissent avec le temps. Cela a commencé à neuf ans quand un camarade de classe montre sa boîte de Donjons & Dragons (soit en 1983). Puis on bave en voyant la publicité télévisée de Heroquest. Finalement je ne goûte à rien de tout cela durant mon enfance et mon adolescence.

Puis, comme beaucoup, je passe ma jeunesse d’adulte devant mon écran de PC et passe des nuits blanches sur Lands of Lore, Diablo et Darkstone (rhaaa), tente l’expérience de Might & Magic et de Baldur’s Gate. Mis à part les deux derniers titres dont l’ergonomie ne me plaisait pas, rien de tout cela n’avait la profondeur d’un jeu rôle pur. Mon expérience vidéo-ludophile se termina avec World of Warcraft, qui, malgré ses lieux magnifiques, ses personnages éclectiques et son histoire assez touffue,  m’a déçu et fatigué avec les quêtes journalières.

Enfin, en cette belle année 2015, Olmyster me propose de lancer l’organisation d’après-midi jeu de rôle, lui laissant bien sûr le soin de faire le Maître de jeu. L’univers choisi est celui des Chroniques Oubliées, créé par Blackbook éditions et réédité en 2014 par Casus Belli. Pour les créateurs, il s’agit de proposer des règles très épurées pour faire de l’initiation aux jeux de rôle. Toutefois le contenu reste assez complet pour faire quelques campagnes.

Nous voici donc réunis autour de la table sous l’oeil arbitral d’Olmyster. Les quatre compagnons seront joués par Doucedidine, Bob Wing, Ananas et moi-même. Doucedidine sera Aëdine, une demi-elfe druidesse. Wing sera Valéros Bobgorn, un rodeur humain. Ananas jouera Anastasia, une Bardesse humaine. Je serai Nick, un guerrier nain (surprenant !?).

Je vous propose donc de partager notre aventure ludique et imaginative. Tout ce qui suit est bien issu de nos choix, de nos réussites et de nos échecs aux dés et de l’imagination très productive de notre Maître de jeu et des quatre compères.

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Prologue

En ces temps immémoriaux où l’honneur vaillant rencontre les créatures les plus néfastes, où la magie rédemptrice côtoie la maléfience putréfiante, où la vie innocente de milliers de paysans s’oublie face à la mort chantée de quelques centaines de guerriers, les drames se conjuguent au pluriel.

Clairval fait partie de ces petits villages de plaine, qui ont été bâti en prenant sur les forêts avoisinantes une première clairière pour établir des habitations, puis s’étendre avec quelques champs nourriciers, et enfin afficher la pérennité de son existence avec un cimetière multi-centennal, sa baronnie et ses contes.

Clairval n’échappe pas non plus à la réalité de l’humanité qui, dans son combat entre le bien et le mal, marque au fer rouge ce village par des rumeurs et des légendes qui écrivent l’Histoire.

Trente ans plus tôt, la nuit précédent l’équinoxe d’automne, quinze enfants du village ont disparu. Ce n’est qu’au matin, que les habitants, les parents surtout, découvrirent avec stupeur ce terrible crime. Toutes les portes des maisons et des bâtisses avaient été fracassées à la masse gobeline, et aucun villageois et aucun animal ne semblait s’être éveillé en entendant autant de brutalité.

Les esprits étaient anéantis face à ses disparitions d’enfants, mais les corps semblaient encore plus fatigués. Les anciens et les mages comprirent rapidement que le mal venait de l’eau du puits communal, situé au centre du village. Cette unique source d’eau potable avait été empoisonnée avec un puissant soporifique.

Ainsi, une fois tout le village silencieux, les chaumières éclairées par leur seul feu de cheminée, les corps apaisées par la drogue et les esprits éteints pour un moment, une horde de gobelins s’étaient introduits dans le village, pénétrés dans les habitations inoffensives et saisis presque tous les enfants.

Après une enquête rapide, les résidents furent mis hors de cause, quasiment tous concernés par ce drame, et les soupçons se portèrent sur Cardo, un étranger saltimbanque qui avait préféré dormir sous le chêne centenaire planté au centre du village, près du puits communal, plutôt que sur une des couchettes confortables de l’auberge.

Quatre résidents du village, qui avaient l’expérience de la guerre et de l’aventure, formèrent une milice et partirent sur les quelques rares traces encore fraîches laissées par les mécréants. Ainsi à la tête de la troupe se trouvèrent Maëla Elethian, une elfe magicienne, Krush, un orque guerrier, Karoom Dhürvan, un prêtre nain, et Félindra Lupus, une rodeuse demi-elfe.

La milice retrouva Cardo prisonnier dans un camp gobelin installé à quelques kilomètres de Clairval. Après une bataille courte et facilitée par la lâcheté gobeline, Cardo fut libéré pour d’autres geôliers, auprès de qui sa langue se délia sans effort et sans caprice. Il avoua avoir agi, tout comme les gobelins, sous la menace d’un personnage très mystérieux mais très riche. Alors qu’il s’était chargé de souiller l’eau du puits, les gobelins s’étaient occupés des enfants, destinés à la baronnie. Cette baronnie située au nord de Clairval.

La milice retourna alors au village, présenta les faits au jeune bourgmestre, Monsieur Carillon, et tout le village se retrouva face aux portes closes du château. Maëla y décela de la magie noire et rien ne permis de briser le sort et encore moins les portes. Le bourgmestre se rappela l’existence d’un tunnel, partant du cimetière, passant sous les douves et les remparts, et émergeant dans les sous-sols du château.

Seuls Félindra, Maëla, Krush et Karoom acceptèrent de prendre ce chemin tortueux, nauséabond et qui s’avéra rempli de créatures étranges et malfaisantes. Dès les premières visions dans les entrailles de la baronnie, alors que les quatre volontaires étaient prêts à en découdre avec le baron et ses soldats, ils découvrirent un personnel pétrifié par la magie et la peur. Dans la salle principale, ils retrouvèrent le baron, épuisé par la peur, tiraillé par la honte, entre deux geôliers ogres.

S’en suivit un combat titanesque entre ces géants et les quatre frêles combattants, des masses longues et lourdes contre des lames fines et des filets de magie, des chairs bestiales face à des corps fragiles et épuisés. Les quatre courageux s’en sortirent et par maintes entailles et réussites, mirent à terre les deux créatures. Le baron, libéré, s’agenouilla de reconnaissance et parla d’un nécromancien, l’esprit malin à l’origine de tous ces malheurs, qui se préparait à consommer les âmes des enfants pour alimenter son propre pouvoir.

Les quatre compagnons s’introduisirent donc dans le donjon, montèrent son haut escalier, firent face au nécromancien, entaillèrent sa chair, dispersèrent son esprit, brisèrent son incantation, et anéantirent son projet. Les enfants et tout le personnel de la baronnie furent libérés, les parents furent reconnaissants et tout le village célébra la victoire des quatre braves.

De nos jours, ces quatre héros légendaires ont préféré, depuis longtemps, une retraite paisible dans une clairière, simplement appelé la Clairière des Héros. Chacun a recherché et trouvé son chemin vers la respectabilité et la sagesse, mais tous ont su partager leur savoir et leur bonté en instruisant régulièrement quelques enfants natifs de Clairval. À leur tour, ces courageux parcourent de vastes territoires, apprennent maintes techniques de combat, parfairent leurs sorts de magie, et dispersent générosité et bravoure.

1ère partie : La souillure gobeline

Au milieu d’une forêt dense et battue par une pluie dantesque, une large route, ressemblant plus à un sentier avec sa terre gris-brun et ses ornières profondes, subit les affres inhabituelles des marchands et des voyageurs. Cette route n’amenait pas à une ville dense et capitale pour la région, mais à un simple village de paysans et d’artisans.

C’était l’unique voie de circulation qui mènait à Clairval. De nombreux voyageurs curieux, quelques marchands ambulants et de rares artistes se dirigeaient vers le village, dont la renommée venait de son drame passé, de son histoire connue de tous et de ses quatre maîtres honorifiques installés à la Clairière des Héros. Toute cette agitation était la conséquence d’un projet méticuleux et colossale que  l’un d’eux s’était mis en tête de réaliser.

Karoom Dhürvan, nain et maître prêtre, construisait depuis trente ans, à la seule force de ses mains et de sa volonté, un temple dédié à l’exploit que ses compagnons et lui-même avaient réussi en sauvant les enfants du village. Ce monument commémoratif était, enfin diront certains, terminé et son inauguration était organisée pour l’équinoxe d’automne.

Parmi les voyageurs et entre les chariots, quatre aventuriers ne pouvaient rater cet évènement. Après un mois d’absence à parcourir les plaines hasardeuses, les rivages escarpées et les montagnes traitresses, ces compagnons de route et de gloire revenaient à leur village d’enfance.

Valéros Bobgorn ouvrait la marche, son visage de Rôdeur caché sous une capuche de lin. L’eau commençait à s’infiltrer entre sa tunique et son Armure de cuir renforcé, malgré les sangles de son sac à dos. Bien que ce trentenaire grand et svelte avait le pas léger, les fourreaux de son Épée longue et de sa Dague tintaient à chacun de ses pas. Le bruissement sourd de la pluie le rassurait sur sa furtivité, bien que l’humain ne cherchait pas à l’être. Cette route le stressait malgré tout, bien loin de son environnement de prédilection, la forêt profonde et inoccupée.

Anastasia et Aëdine suivaient, marchants l’une à côté de l’autre. La frivolité et la bonne humeur de la Bardesse humaine allait de paire avec l’humour et la gentillesse de la Druidesse demi-elfe. Elles s’amusaient à dévisager, à deviner et à deviser sur les voyageurs, leurs origines et leurs accoutrements. Toutefois, elles paraissaient encore plus étranges que ces étrangers qu’elles croisaient.

La jeune Anastasia aurait pu passer pour une artiste itinérante banale, avec cette Cornemuse qui la rendait encore plus menue avec sa corpulence affinée, mais harnachée sous une Armure de cuir et avec une ceinture d’où pendait une Dague et une Rapière, plus d’un brigand aurait hésité sur sa véritable nature.

Aussi âgée que Valéros, Aëdine avait le teint basané typique d’une demi-elfe. Mais cette disciple de Mère Nature marchait fièrement, portant davantage son Bâton que celui-ci ne la portait. Son Armure de cuir la protégeait des dangers de la vie aventureuse, mais son Arc court pour la chasse et sa Dague à dépecer lui apportait sa subsistance.

Derrière, Nick le nain fermait la marche, grommelant de ne pouvoir voir de loin les alentours et les bords du chemin, au milieu de cette foule et des carrioles, et donc encore moins les dangers qui pouvaient surgir des coins sombres de la forêt. Toutefois il savait que cette angoisse n’était pas naturelle, mais conditionnée par les habitudes que son père lui avait transmis. Surtout qu’avec sa condition de Guerrier, sa Côte de maille qui tintait à chacun de ses pas, la main sur le pommeau de son Épée longue à la ceinture, un Bouclier sur le dos et sa Hache à deux mains coincé entre les deux, que pouvait-il bien craindre de quelques malandrins et vagabonds de campagne ?

Les quatre compères avaient quitté Clairval un petit matin d’été, les pieds dans l’herbe verdoyante, la tête aérée par la brise fraîche, et l’esprit porté vers le lointain rosé de l’aube. Empreints de leçons apprises et d’histoires héroïques, les novices avaient tenté la quête de la curiosité, celle située entre la réalité de la vie et l’immensité du monde.

Aëdine et Anastasia étaient originaire du village, et savaient qu’au bout de cette route elles retrouveraient leurs amis, leurs habitudes et ces vieux pères qui seraient heureux de revoir leurs filles, derniers enfants survivants de grand fratrie.

Valéros avait aussi vécu à Clairval et connaissait Aëdine depuis son enfance, mais les résonances psychologiques d’avoir été enlevé par le Nécromancien avaient usés les nerfs de ses parents, qui déménagèrent avant ses dix ans. Toutefois l’adolescent revint vers ce parfum d’enfance et des leçons appropriés auprès des maîtres de la Clairière des Héros.

Nick arriva bien plus tard, suivant son père Chef des Gardes régionaux. C’était aussi à ce moment-là qu’il avait suivi sa formation de Guerrier, avec des leçons apprises à la Clairière des Héros, et sans cesse rabâchées par son père. Puis la section de Gardes régionaux partit pour une autre mission, un autre village à protéger, mais Nick resta avec ses nouveaux amis.

Finalement, le mal du pays rappela ces enfants à leur doux foyer. Et après des jours de voyage, une halte la nuit précédente à l’Auberge du Vieux Pont, et cette nouvelle matinée de marche sous la pluie, la mélancolie et la nostalgie emplissaient leur coeur. D’autant plus que leur pensée se portait davantage sur Karoom le maître nain, l’un des héros légendaires, et sur son étrange et interminable projet.

La pluie cessa enfin et le ciel gris-cendré se transforma en blanc laiteux, sans pour autant laisser passer les rayons du soleil. A cet instant les quatre compagnons s’arrêtèrent. Au loin, les palissades entourant l’entrée sud de Clairval était visible, ainsi que la cime du chêne centenaire au centre de la place. Mais sur leur gauche, un sentier assez large pour deux hommes perçait la forêt. Un panneau en bois sculpté indiquait le chemin vers le “Temple de Karoom”.

Les quatre aventuriers se regardèrent, sourirent et s’engagèrent dans le sentier, empreints par l’envie de voir Karoom et son oeuvre bien avant la cérémonie officielle. Ils entrèrent donc dans la forêt, quittant le bruit et la boue pour un sol plus dur et un univers plus calme. La douceur sylvestre envahissait l’odorat, captait l’ouïe et plaisait à la vue. Puis des buissons plantés apparurent et bordèrent le chemin avec des épineux qui montaient jusqu’à hauteur d’homme, créant un couloir jusqu’à une percée éblouissante.

Soudain un bruit dans les buissons, quelques feuilles bruissèrent et des pattes crissèrent sur le sol. Une créature inconnue fuyait le rempart végétal et semblait chercher une meilleure cachette. La curiosité de Valéros, soutenue par la circonspection de Nick, amena le rôdeur à examiner les buissons, au niveau des quelques feuilles tombées. Il n’aperçut rien de particulier et se baissa jusqu’aux racines sortantes du sol, sans en voir davantage au-delà des pieds d’arbuste. Sans crainte, il força son passage entre les branchages. La créature avait disparu définitivement, terrée il ne savait où.

– Ça devait être un faisan, dit-il en rejoignant ses amis.

– Un malfaisant, oui, corrigea Nick.

Le groupe reprit la marche et, arrivant à l’orée du bois, aperçut le temple. D’abord petit de si loin, leurs visions cernées par le porche végétal. Puis si majestueux, si grand, si massif au milieu de cette clairière circulaire. Le monument respirait la culture naine, avec ces roches brutes taillées et entrecroisées, avec cette apparente solidité aux lignes sans finesse. Les anciens élèves de Karoom se souvenaient des plans de l’édifice et de sa forme de marteau couché, dont les sommets culminaient maintenant devant eux à quinze mètres du sol.

– Trente ans d’une vie de nain pour bâtir ce temple, souffla Nick, admiratif.

– Y’en a qui se font vraiment chier dans leur journée, plaisanta Valéros.

Nick grogna à l’attention de Valéros. Alors que le groupe s’approchait du temple. Le guerrier nain fixa du regard ses portes massives de trois mètres de haut. Elles étaient entrouvertes de quelques centimètres. Il fit ralentir le pas, inspecta du regard les alentours, tendit l’oreille à la recherche d’un bruit inhabituel, examina les marches qui pouvaient être souillées de sang frais. Mais rien de tout ça.

– C’est normal que ce soit entrouvert, s’inquiéta Aëdine.

– Un temple nain, c’est soit grand ouvert, soit parfaitement fermé. Mais entrouvert, c’est qu’il y a un problème, répliqua Nick.

– Bah on sait pas, lança Valéros, désinvolte. Peut-être que les nains entrouvrent leur porte. De toutes façons, moi..”

Et le rôdeur s’avança fièrement et toqua à la porte. Ses amis le rejoignirent, attendant également une voix ou un bruit quelconque en retour. Mais aucun bruit ne parvint à eux par l’entre-baîllement.

– Sortons nos armes et préparons-nous au danger, proposa hardiment Nick.

Valéros rigola sur ces belles paroles et à la vision du nain mettant sa main à l’épée et le bouclier à l’avant-bras.

– D’accord, ricana le nain. Alors passe devant.

Le sourire du rôdeur s’effaça, pendant que les mains d’Aëdine serraient son bâton. Valéros fit de nouveau face à la porte et, du bout du pied, l’ouvrit doucement et facilement.

L’intérieur sombre contrastait avec la lumière blafarde de l’extérieur. Les hauts vitraux étaient cachés par des bâches immenses, empêchant la lumière naturelle d’entrer. Les quelques torches visibles, placées de manière régulières, étaient éteintes. Dès l’entrée, ils pouvaient apercevoir deux escaliers en colimaçons, emprisonnés par la pierre, qui amenaient aux balcons longeant l’avant-nef rectangulaire et la nef. De hautes colonnes se dressaient le long des murs de travée. Puis au loin, tout au fond du temple, un halo jauni éclairait partiellement et tombait sur un autel.

Aucun bruit ne résonnait dans l’édifice, plombant davantage l’atmosphère sacrée de ce futur lieu de culte. Valéros entra le premier et, avec déférence, pratiqua une génuflexion. Les autres suivirent, plus circonspects que respectueux. Le rôdeur fit tomber son sac au sol, sortit sa torche et son briquet, et finit par éclairer le narthex et les rambardes de pierre des balcons.

Soudain une cloche tinta, sonna, puis finalement et lentement gronda entre les murs massifs, glaçant les quatre aventuriers. Des cris stridents et malicieux parvinrent des balcons. À peine le temps de lever les yeux que des objets contondants tombèrent sur eux, lancés par des créatures malignes et agressives.

Aëdine resta stoïque pendant que ses amis restèrent pétrifiés d’effroi par cette cloche macabre. Elle vit des outils de maçonnerie marteler et joncher au-fur-et-à-mesure le sol. Elle parvint même à éviter un marteau et un burin. Valéros, Nick et Anastasia ne virent pas venir les autres outils. Le rôdeur subit ainsi ses premières blessures dans ce combat bizarre, lâchant un faible piaillement de douleur et sa torche, tandis que Nick et Anastasia n’eurent même pas à esquiver des lancers imparfaits.

Aëdine appella Karoom, hésitant encore sur la nature du ou des lanceurs éventuels. Et d’autres outils furent lancés, agrémentés par d’autres cris malingres. Rien qui ne soit donc de nature naine, voire sénile, mais bien des créatures maléfiques. Puis la source d’objets dangereux sembla se tarir et par chance personne ne déplora d’autres blessures.

Nick proposa alors de monter aux balcons, à l’assaut de ces bêtes. Anastasia, effrayée, se couvrit la tête avec sa gamelle, et son corps avec sa couverture. Valéros sortit enfin son épée et Aëdine prit son bâton à deux mains. Un dernier outil fut lancé sur Anastasia, qui courrait se réfugier dans un coin. Le marteau la frappa durement et son corps s’effondra sur le sol aussi sèchement et sans un gémissement. Aëdine prit l’escalier de gauche, Valéros la suivit de près, et Nick entreprit l’ascension du colimaçon de droite.

À l’étage, Aëdine rencontra deux gobelins qui la continrent dans l’escalier en balançant leurs masses. Valéros ne pouvait pas passer et patienta derrière la druidesse. Les frappes ennemies continuèrent et firent vaciller Aëdine. Elle tenta alors de forcer le passage, mais les deux masses gobelines moulinaient sans arrêt dans les airs.

Nick trouva le même nombre d’ennemis au sommet de son escalier, mais d’un mouvement rapide et certain, il trancha la tête d’un premier ennemi. Son second adversaire rata sa premier occasion. Puis les deux combattants croisèrent leurs armes, frappant à tout rompre, sans qu’aucun ne cède. Jusqu’à ce que l’épée du nain entailla le gobelin épuisé.

Pendant ce temps-là, Valéros recula pour laisser descendre Aëdine, et amener les deux gobelins à se battre dans un espace moins réduit. Alors que les deux amis redescendaient, la tactique fonctionna et les peaux-vertes suivirent leur proie. Arrivée en bas, Aëdine vit Valéros patienter sur le côté, prêt à à frapper la première vermine qui pointerait son nez. Nick vit ses amis du haut de son balcon et hésita entre lancer quelques outils, au risque de blesser ses amis, ou redescendre les rejoindre.

Aëdine se retourna alors pour porter un bon revers de bâton sur le premier crâne verdâtre, mais le coup passa au-dessus. Soudain le nain surgit et planta son épée dans le bide du gobelin, avant que celui-ci ne puisse riposter à Aëdine. Valéros entailla le second et dernier malin, qui répondit par une belle entaille dans la cuisse.

Aëdine s’écarta de la mêlée et s’agenouilla auprès d’Anastasia, qui reprenait conscience difficilement.

Nick lança à nouveau toutes ses forces contre le dernier ennemi, mais celui-ci esquiva et le nain, porté par son élan, finit au sol en s’égratignant. Valéros se retint de rire devant ce coup mémorable et s’élança pour finir ce récalcitrant, quand son arme glissa sur la tunique en cuir du gobelin et blessa également le nain trop proche. Mais les deux amis s’enragèrent contre leur propre bêtise et portèrent coup sur coup contre un adversaire coriace, agile et déterminé à survivre.

Alors Aëdine laissa Anastasia seule, rejoignit les hommes et glissa son bâton entre les corps vaillants, qui percuta de plein fouet le visage hideux de la créature.

– Un petit merdeux, celui-là, lança avec dédain le nain, repoussant du pied le corps flasque et inerte.

L’équipe se reforma autour d’Anastasia, qu’ils aidèrent à se relever. Le temple avait retrouvé son calme sacré, son silence de catacombes. Valéros ramassa sa torche pendant qu’Aëdine et Nick sortirent et allumèrent la leur. Anastasia préféra rester dans l’ombre et se glissa derrière les colonnes, à l’abri des regards de possibles autres gobelins. Le groupe décida de se séparer.

Aëdine et Nick remontèrent leurs escaliers, tandis que Valéros et Anastasia s’avancèrent vers l’autel, marchant entre les murs et les rangées de colonnes. Chacun, au fur et à mesure de sa progression, découvrit l’entièreté de l’autel nimbé de lumière dorée.

Derrière les colonnes, Valéros et Anastasia trouvèrent des alcôves. Dans chacune d’elles était hébergée une statue représentant une divinité naine. Ils les examinèrent et remarquèrent des dessins grossiers qui suggéraient une moustache sur deux déesses et un sexe sur le front d’un dieu. Sur d’autres, les profanateurs avaient tenté d’esquisser d’autres choses restant indescriptibles. Valeros porta une attention plus particulière sur une des moustaches, tandis qu’Anastasia commença à nettoyer une autre exaction. Puis le regard de Valéros se détourna vers le sol, amenant également la pointe de son épée longue dans un tas difforme et flasque.

– Ils ont fait ces gribouillis avec leur propre merde, informa Valéros, bloquant aussi sec l’action purificatrice d’Anastasia.

Nick et Aëdine se mirent à parcourir leurs balcons respectifs, surplombant la travée de bancs. Chacun tenta de tirer sur les bâches qui couvraient les vitraux afin de faire entrer davantage de lumière naturelle. Mais elles pendaient depuis une telle hauteur que les compagnons durent abandonner. Ils reprirent leur progression, surveillant leurs amis marchant en bas et leurs alentours.

A quelques pas de Valéros, un objet brillant scintilla légèrement. Il le ramassa et soupesa cette grosse clé de bronze. Il soupçonna qu’il s’agissait de celle du temple. Mais si c’était bien le cas, comment ces maudits gobelins avaient bien pu l’avoir ? Où pouvait bien être Karoom en ce moment ? La menace semblait éliminée du temple, mais qu’en était-il pour le village ? Autant de questions auxquelles les réponses devaient attendre.

Soudain son attention fut saisi par des crissements. Un coup d’oeil sur Anastasia et Valéros compris qu’il n’était pas le seul les entendre. Il porta son regard en direction de l’autel et il reconnut les raclements que faisaient des outils ferreux sur la roche. Valéros et Anastasia avancèrent jusqu’à l’autel, pendant qu’Aëdine et Nick parvenaient à l’extrémité des balcons, dominant toute la salle octogonale de l’autel.

Derrière l’autel, Valéros et Anastasia pouvaient voir des petits bras frêles et verts s’agiter, s’immobiliser, ouvrager la pierre. Puis un pas crissa, des têtes gobelines se relevèrent, Valéros enragea et les frondes lâchèrent leurs premières pierres. Le rôdeur esquiva un projectile mais un second assomma, de nouveau, la bardesse. Valéros revint sur ses pas en courant et se réfugia derrière les colonnes.

Depuis le balcon, Aëdine bandait déjà son arc, tira une première flèche, qui manqua sa cible, et encocha la deuxième. Le nain, enragé d’être aussi haut et aussi loin, lança à son tour sa hache à deux mains avec toute la force et l’élan qu’il pouvait fournir. Toutefois le poids de l’arme et la distance eurent raison de sa hardiesse, et la hache tomba lourdement et bruyamment.

Rapidement, Valéros présenta à son tour un arc, encocha, banda la corde et visa la première tête qui dépassait de l’autel. La pointe atteignit son objectif, plantant celui-ci dans le mur proche. Pendant ce temps-là, Nick parcourut en sens inverse le balcon pour rejoindre Valéros. Mais la vitesse d’un nain ne vaut pas celle d’une flèche, que tira Aëdine et qui tua par la même occasion le dernier profanateur.

Valéros sortit de son abri et marcha jusqu’à l’autel. Massif en granit orangé, il avait la forme d’une enclume et trônait sur une estrade de pierre noire. Avec circonspection, le rôdeur en fit le tour, découvrant par la même occasion le vitrail circulaire qui dirigeait la lumière sur cette oeuvre naine. Dans le mur derrière l’autel, une alcôve avait été creusée et un socle de bronze poli attendait une relique quelconque. L’enclume était gravée de symboles runiques et stylisés. Mais le coeur du texte avait été gâché par un énorme symbole. Valéros y reconnut là celui d’une tribu gobeline sévissant dans la région.

Aëdine et Nick profitaient du calme pour fouiller leurs balcons, puis redescendirent rejoindre Valéros et Anastasia. Le rôdeur s’approcha d’Anastasia et tenta de la ranimer, en vain. Il dût attendre l’expérience d’Aêdine, qui parvint à la réveiller et à la relever. Valéros fouilla à son tour autour de l’autel, pendant que Nick ramassa sa Hache à deux mains, qui ne semblait pas avoir souffert de ce lancer rageur.

– Comment tu vas, souffla Aëdine à Anastasia.

– Ça va aller.

– Tu peux examiner l’autel, demanda Valéros. Il y a des écritures naines. Tu pourrais peut-être les déchiffrer et nous en dire plus.

Anastasia marcha avec difficulté et fit le tour de l’estrade noire. Elle se baissa, lut à voix basse quelques lignes du texte runique, se redressa, puis porta son attention sur le socle de bronze dans l’alcôve située derrière l’autel.

– Ceci doit recevoir une relique dédié au dieu Thürdim. Si je me souviens bien, Karoom parlait souvent de ce dieu car il est au centre de toutes les prières dans son village natal. Il n’a pu que retourner là-bas pour trouver une relique adéquate pour son temple.

– Ça doit être pour ça qu’il n’est pas là, ajouta Valéros.

– Sortons alors, proposa Nick.

– Oui, il ne sert à rien de rester ici plus longtemps, argumenta Aëdine.

Les compagnons se regroupèrent et retournèrent vers le porche entrouvert, fouillant de temps à autre. Le groupe s’arrêta à l’entrée. Aëdine chercha encore sur le sol et les murs quelques objets intéressants ou de possibles cachettes. Anastasia profita de cette pause pour reprendre ses esprits et quelques forces. Nick et Valéros se plantèrent sur le perron et examinèrent la clairière et l’orée de la forêt, craignant d’autres menaces vertes.

Mais le calme avait aussi bien été restauré à l’extérieur qu’à l’intérieur. Les quatre aventuriers se regroupèrent à nouveau, prêts à partir.

– Que fait-on maintenant, demanda Nick.

– On retourne au village, proposa Valéros. S’il y a des gobelins ici, il peut y en avoir aussi au village.

– Je préfèrerais plutôt prendre le chemin vers le village natal de Karoom, le retrouver en chemin et l’escorter jusqu’à son retour.

– Son village est très loin dans les montagnes, répliqua Aëdine. On ne sait pas depuis quand il est parti et quand il a prévu de revenir.

– Clairval est plus proche et plus exposé à la menace gobeline, ajouta Valéros. J’insiste pour aller au village.

– Je suis d’accord, fit Aëdine.

– Moi aussi, lâcha Anastasia.

– Ok, allons-y, se résigna Nick.

Valéros se retourna et ferma les portes complètement. Il  sortit la clé de bronze qu’il avait ramassé et l’inséra dans la serrure. Elle tourna parfaitement et le pêne verrouilla définitivement le lieu sacré. Il donna la clé à Nick qui s’empressa de la coincer dans les replis de sa tunique.

Le groupe s’avança alors vers le sentier, sans relâcher leur attention, puis ils s’engagèrent dans la forêt, libérant soudain leurs esprits avec cette marche forcée, pressés de connaître le sort réservé au village de Clarival et à ses habitants.

Fin du premier épisode.

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  1. […] une première partie bien mouvementée et une deuxième plus calme, nous retournons à Clairval sous l’oeil arbitral […]

  2. […] une première partie bien mouvementée, nous voici donc réunis autour de la table sous l’oeil arbitral […]

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