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Spécial Jeu de rôle

Fort Boueux

Les Chroniques Oubliées

Asnières

Notre maître de jeu, Olmyster, nous a préparé une petite campagne. Elle avait débuté l’année dernière avec un village attaqué par des gobelins manipulés et terrifiés. Pour cette seconde étape, je retrouve donc notre MJ, Doucedidine et Bob Wing. Mais Ananas nous abandonne (pour le bien de ses études) et nous accueillons Scorpion71 en quatrième partenaire. Ce second scénario fut plus long et nous demanda trois séances pour en venir à bout.

Bob Wing est à nouveau Valéros le rodeur et Doucedidine reste Aëdine. Scorpion devient Uruk un semi-orc plutôt imposant et je joue Doom, humain et barbare. Tous les deux sont originaires du village de Clairval et sont amis depuis l’enfance.

Voici le récit de notre aventure.

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Le village de Clairval

Prologue

Les Terres d’Osgild étaient en paix depuis plus de trois siècles. Les différentes peuplades commerçaient sans difficulté apparente. Quelques races refusaient de se mélanger pas, soumises à d’ancestrales querelles, mais chacune restait à sa place et évitait ainsi les conflits. Ainsi vivaient les humains, les nains, les elfes, les halflings et autres peuples fières, sages et bons.

Mais les non-humains du Pays de Dorne, dans les territoires du nord, au-delà des montagnes infranchissables et des forêts denses, gardaient en souvenir la gloire des temps anciens et dans leur chair brûlait une soif de vengeance, une fierté de conquérants, une blessure liée aux guerres passées qui les avaient repoussés dans les contrées pauvres, arides et parfois froides. Parmi ces peuples bannis, il y avait les orcs. Et une guerre qui ne disait pas son nom se préparait.

1ère partie : Le convoi de Fort Boueux

Au milieu de la forêt de Mirviel, plusieurs semaines après l’incursion des gobelins, le village de Clairval sembla calme. Ses habitants pansaient les plaies et retrouvaient doucement le rythme lent et rassurant du quotidien.

Après l’euphorie du retour triomphant, Valéros le rodeur, Anastasia la bardesse et Aëdine la druidesse s’étaient chargés des funérailles de Nick. Tous les quatre étaient partis à la poursuite des gobelins qui avaient attaqué le village et enlevé un enfant. L’aventure s’était finie d’une manière aigre-douce. Le guerrier nain avait été tué dans des galeries infestées de rats géants, mais son sacrifice avait permis de sauver l’enfant.

Toutefois le petit groupe d’aventuriers dut faire face à un autre contrecoup. Anastasia se révéla plus bouleversée que ne l’avaient cru Valéros et Aëdine. Dès le lendemain des funérailles, elle quitta le village au petit matin, à l’insu de ses amis, disparaissant sans un mot ou une lettre à quiconque. Depuis ce jour, aucune nouvelle ne leur était parvenue.

Le ciel se révélait à l’identique des cœurs et des esprits chagrins et une pluie intense tombait depuis deux semaines. Parmi les autres mauvaises nouvelles, il y avait les non-nouvelles de Karoom. Bien que le maître nain était au cœur de toutes les attentions et des recherches, il n’était pas revenu et restait introuvable. Pire, il n’avait donné aucune nouvelle, pas le moindre signe de vie. D’après les rumeurs parvenant du château, ce fait inquiétait le baron Rodrigue de Haute-Pierre, bien que le prêtre nain soit coutumier du fait. Cette absence prolongée déplaisait aussi au bourgmestre Carillon.

Ce fut sous cette atmosphère lourde et morose qu’arriva un chariot décrépi, à la bâche trempée, tiré par des bœufs fatigués et fumant sous l’effort, et conduit par deux hommes tristes et avachis. Le convoi arrivait par la route du sud et s’arrêta près de l’auberge. Tous les clients purent voir les deux cochers descendre, s’étirer tout en évitant de prendre la pluie sur le visage. Leurs capes et leurs bottes étaient recouvertes de boue comme s’ils étaient crottés de partout. Ils marchèrent vers l’arrière du chariot et par leurs déhanchements épuisés, des fourreaux et des plastrons apparurent, affichant aux plus attentifs leur fonction de gardes royaux. Derrière le chariot, on leur tandis un paravent à deux bras. Ils le maintinrent le plus haut possible et l’ouvrirent. Ce fut alors que descendit délicatement un grand jeune homme, apprêté comme un noble avec ses habits aux liserés d’or et d’argent et sa cape bleu foncé impeccable. Les clients de l’auberge pouvaient le voir râler, sans l’entendre clairement. Le bourgmestre Carillon apparut soudain et vint accueillir le noble comme il se devait. Autant que le jeune homme hautain le permettait entre deux plaintes. Puis le noble sous l’abri du paravent, les gardes qui le suivaient tant bien que mal et le bourgmestre longèrent le chariot et partirent en direction du nord, sûrement vers le château du baron.

Derrière le chariot, un petit homme se jeta à son tour hors du véhicule et courut vers la porte de l’auberge pour s’abriter à l’intérieur. L’individu s’ébroua, laissant l’eau ruisseler depuis sa cape brune jusqu’au plancher usé qui se noircissait sous l’effet de l’humidité. D’un geste ample, il rabattit la capuche et la cape dans le dos, la détacha puis la suspendit à la première patère disponible. Le petit homme se révéla être un gnome, les yeux noirs, le nez épaté, les oreilles disproportionnées. Mais la tenue officielle frappa davantage les esprits. Ce fut surtout le contraste entre cet être petit et particulier, voire pour certains dérangeant, et son apparat de fonctionnaire royal. Sous le pesant silence des villageois locaux et intrigués, l’individu traversa la grande salle sans un mot, le sourire aux lèvres, saluant de temps à autre et d’un hochement de tête les regards incrédules, les visages fermés et les grimaces menaçantes. Il s’arrêta à la table la plus éloignée mais aussi la plus éclairée, près du grand foyer. Puis il attendit qu’un employé de l’auberge vienne à lui.

Assis sur un tabouret près du comptoir et en face des tonnelets, Valéros haussa un sourcil de dédain et reprit sa mélodie à la flûte. Enfin, plutôt sa tentative de mélopée douce qui se révéla stridente et fatigante pour les autres convives. Certains râlaient quand d’autres l’encourageaient.

Aëdine franchit l’entrée et rejoignit Valéros.

– Encore à l’exercice pour ta reconversion ? demanda-t-elle.

Valéros lâcha sa flûte et désigna deux individus qui franchissaient à leur tour la porte.

– Et toi, toujours avec ton fan-club ?

Elle se retourna.

– Ça fait deux jours qu’ils me suivent partout.

– Des ennuis en perspective ?

– Non, ce sont deux jeunes du village et posent beaucoup de questions sur nous deux et nos aventures.

– J’espère qu’ils vont se décider à venir discuter avec nous sinon…

Et Valéros passa son pouce sur sa gorge.

Les deux inconnus basculèrent leurs capuches et l’aubergiste s’avança vers eux avec un sourire franc et chaleureux.

– Alors les gars, je vous sers quoi aujourd’hui ?

– Une bière, demanda l’humain grand, massif et fier.

– Une mousse, demanda son voisin semi-orc tout aussi imposant.

– La bière pour l’un, la mousse pour l’autre, répliqua l’aubergiste.

– Sacré comique, lui répondit le semi-orc.

Puis les deux hommes jetèrent un coup d’œil sur Aëdine et Valéros, avant que leurs regards ne fuirent vers le gnome étranger.

Quand l’aubergiste arriva aux tonnelets pour remplir les deux chopes, Valéros l’interpella.

– La « chariole » et le bourgeois, vous les avez déjà vu quelque part avant ?

– Absolument pas. Mais je sais qu’ils viennent de la route du sud. Pour l’instant, celui-là a pas dit un seul mot, dit-il en désignant le gnome apprêté.

Quand l’aubergiste repartit vers les deux jeunes compères, la porte de l’auberge s’ouvrit à nouveau. Les deux gardes royaux et crottés franchirent l’ouverture, refermèrent la porte, examinèrent la salle et ses convives, virent la main levée du gnome et accoururent à sa table.

Valéros fit un geste pour appeler silencieusement l’aubergiste.

– Porte-moi donc trois chopines de bière, s’il te plaît, demanda Valéros quand le gérant arriva.

L’aubergiste s’empressa de lui obéir.

Valéros prit les chopes, fit un mouvement de tête à Aëdine pour l’inviter à le suivre, traversa la salle et posa les bières moussantes sur la table des nouveaux arrivants.

– C’est pour moi ! annonça Valéros avec son plus chaleureux sourire.

– Merci, fit le gnome perplexe.

– Vous avez dû en baver sur cette route avec le temps qu’il fait. Vous les avez bien méritées.

– Oui, effectivement, admit le gnome en se déridant. Merci c’est très sympa.

– On a pas souvent de visiteurs, alors c’est ma tournée, dit Valéros en s’asseyant avec les trois étrangers.

Devant le manque de réaction des trois visiteurs, Aëdine l’imita sans rien dire.

– Merci, c’est gentil. Vraiment.

– Et vous venez d’où ? demanda Valéros.

– On vient du sud. Vous avez dû voir ce grand escogriffe, celui qui est descendu du chariot ?

– Le noble ?

– Le noble oui. Enfin le noble. Sans doute par le titre, moins par l’attitude. Il n’a pas daigné nous aider une seule fois de tout le voyage. Quand on était embourbé, il nous insultait presque. Il disait qu’il n’avait rien à faire là. Vraiment une attitude très méprisante.

– Et il vous a payé ? demanda Aëdine.

– Non pas du tout, répondit le gnome

Aëdine fut surprise, ce qui n’échappa pas au gnome et ses deux acolytes.

– En fait, reprit le gnome, on a été chargé de l’escorter. Bref, c’est notre mission. De toutes les façons, cela fait partie de nos attributions. Et ce gars – oui, ce gars, parce que ce gars ne mérite pas son titre – il est censé être soldat et prendre un poste à Fort Boueux. Il faut que vous sachiez qu’il n’a pas quitté une seule fois l’intérieur du chariot, serré contre son paquetage. Mais nous en tous cas, on en a ras le bol, et ce qui est sûr c’est que l’on va repartir à pied demain par la route, car notre mission s’est arrêtée à l’instant. Nous allons profiter des lieux très accueillants, comme vous nous l’avez prouvé en nous offrant ces bières, et disparaître demain. Notre mission est terminée, fit-il avec un grand sourire, imité par les deux gardes.

– Où il va le nobliau ? demanda Valéros.

– Maintenant, on ne sait pas vraiment.

– Où est-ce que vous l’avez pris en charge ?

– On l’a pris en charge au village juste avant. À Wyks. Donc on l’a remonté de Wyks jusqu’à Clairval et notre mission s’arrête là.

– Et vous savez comment il va aller à Fort Boueux ? demanda Aëdine.

– Non, je ne sais pas. Je sais juste que le Baron est venu le quérir, pour le loger chez lui.

– Ah oui, sympa l’hospitalité.

– Il est clair qu’il ne se mélange pas avec la populace, évidemment. Je peux juste vous dire que ce môssieur s’appelle Julius Mortemire.

Un silence s’installa alors autour de la table, où chacun rumina son impatience. Le retour à la tranquillité pour les étrangers, et le début d’une curiosité insatisfaite pour les deux héros. Mais il fallut quelques minutes d’inconfort pour qu’un garde parle des rumeurs d’attaque gobeline dans la région. Il ne fallut pas plus à Valéros pour conter leurs aventures périlleuses.

La soirée était bien entamée quand le bourgmestre Carillon franchit la porte de l’auberge. Il examina la grande salle et se dirigea vers Valéros, Aëdine et les trois étrangers. Il salua le gnome et son escorte, puis demanda à Valéros et Aëdine de le suivre. Ils s’assirent sur une autre table, bien à l’écart des autres convives, de leurs regards et de leurs oreilles indiscrètes. Ce manège n’échappa pas aux deux jeunes villageois assoiffés d’aventure.

Le bourgmestre parla juste ce qu’il fallait pour être entendu par les deux héros.

– La baronnie est la province la plus au nord, et passé Clairval, il n’y a qu’un petit village comme vous le savez. Un petit refuge pour les bûcherons appelé Vireux. Puis, plus loin, est installé Fort Boueux qui a la charge de surveiller le marais Bourbevieux, qui est la frontière naturelle de la principauté. Ce fort est très isolé et a besoin de ravitaillements. Ces derniers temps, la pluie n’a pas cessé et des rapports nous sont parvenus sur les routes et les terres gorgées d’eau, et le pourrissement des quelques cultures locales. Donc ce que vous avez vu arriver, c’est un chariot de ravitaillements pour le fort, provenant de Wyks. Mais il est maintenant de la responsabilité du Baron d’assurer son transport sur ses propres terres.

– Donc si j’ai bien compris, les gardes et leur gnome rentrent chez eux et nous on se tape le boulot jusqu’à Fort Boueux ? demanda Valéros.

– Malgré la disparition malheureuse de Nick et Anastasia, vous avez effectivement fait vos preuves. Et il est vrai que le Baron a pensé à vous pour ce travail. Il voudrait des gens courageux et débrouillards. Du courage, vous avez su en faire preuve, et la débrouillardise n’est plus à chercher en vous. C’est donc naturellement que le Baron a pensé à vous.

Valéros et Aëdine affichèrent un sourire de fierté.

– Maintenant je ne vous cache pas que ça ne sera pas de tout repos, repris le bourgmestre. Je ne vous l’apprends pas car même les marchands les plus avides évitent les routes boueuses du nord. Habituellement il faut deux jours pour aller à Fort Boueux, mais je pense qu’avec les conditions climatiques actuelles, cela risque d’être deux fois plus long. Cependant, sachez que le Baron offre à chacun vingt-cinq pièces d’argent pour ce travail.

– Ah oui ? fit Aëdine

– Cela reste une belle somme d’argent, mais je comptais avant tout sur votre fibre d’aventurier. Voyez-y aussi une bonne action pour votre village natal. Je comprends bien que vous n’êtes que deux et que cela ne suffirait pas pour mener cette tâche à bien. Je vous laisse donc voir si vous voulez recruter d’autres personnes.

– Bonsoir, Bourgmestre Carillon, s’exclama le jeune humain.

Son ami semi-orc et lui semblaient décidés à briser un tabou et à s’inviter.

– Valéros, continua à saluer l’humain. Aëdine. Moi c’est Doom et mon ami s’appelle Uruk. On peut se joindre à vous ?

Les trois convives se regardèrent d’incrédulité.

– Bon, j’avoue, reprit l’humain. Je suis un peu curieux et vos cachoteries me plaisent.

– Bah ce qui se passe c’est que nous étions en train de discuter, répliqua Valéros. Donc si vous pouviez plutôt dégager.

Monsieur Carillon sourit.

– J’ai vu comme tout le monde ce chariot arriver avec son escorte et je voulais savoir qui était le gus qui en était descendu, insista Doom.

– Bien justement, le gus on s’en fout, s’exclama Valéros. Par contre, on a besoin d’un coup de main pour amener un chariot à Bois Vieux demain.

– C’est payé combien ?

– Vingt cinq pièces d’argent.

Doom se tourna vers son ami Uruk.

– T’en penses quoi de vingt cinq pièces d’argent ?

– Ça me parait bien.

– Chacun ou à partager ? demanda Doom à Valéros.

– Chacun, répondit Carillon à la place du héros.

Puis il se tourna vers Valéros.

– Et si je peux me permettre de vous reprendre, mon ami. Ce n’est pas Bois Vieux mais Bourbe Vieux. Mais est-ce à dire que je peux compter sur un accord entre vous pour cette mission ?

– Puisque nous ne profiterons pas de notre récompense avant de partir, aurons-nous des vivres pour faire la route ? demanda Aëdine.

– Vous aurez tout ce dont vous aurez besoin – vivres et équipements – pour votre voyage. Tout est à la charge de notre village.

– On va le faire, déclara Valéros. De toutes les façons, c’est accepter cette mission ou se faire chier ici.

Doom lèva sa chope au dessus de la table

– Monsieur Carillon, je suis partant. Qui pour aller avec moi ?

Uruk amena sa chope contre celle de son ami.

– Ce n’est pas nous qui venons avec toi, c’est toi qui vient avec nous, corrigea Valéros, énervé.

– À ce rythme-là, nous ne serons que deux pour cette mission, osa Doom. Soit finalement cinquante pièces d’argent chacun.

Valéros se mit à bouillir intérieurement.

– On dirait que ça te gène de marcher dans la boue, demanda Uruk.

– On dirait que ça te gêne de marcher avec nous, ajouta Doom.

Valéros maintint un silence qui en disait long. Le bourgmestre reprit le cours des discussions afin de casser cette froide atmosphère.

– Bon ça ne vous a pas échappé, qu’outre les guedins et leur chef attablés à côté et qui repartiront demain, est aussi arrivé un dénommé Julius Mortemire. Il s’agit du frère d’Andra Mortemire, la prêtresse qui commande actuellement le Fort Boueux. En fait, une missive du Prince Thomas d’Arni ordonne à Julius de se mettre sous les ordres de sa soeur. Cela donne une certaine importance à ce personnage, qui mérite de passer la nuit dans le chateau du Baron. Vous ne rencontrerez Julius Mortemire que demain matin.

Le bourgmestre n’en dit pas plus et tous se levèrent. En passant devant le comptoir, Doom déposa des pièces pour payer sa bière et celle d’Uruk. Mais l’aubergiste réclama son dû à un Valéros de mauvaise foi.

Le groupe nouvellement formé se dispersa pour la nuit. Chacun passa la nuit chez soi, sauf Valéros le rodeur qui occupait une des chambres de l’auberge.

Au lever du jour, sous la pluie battante, les quatre compagnons se retrouvèrent près du chariot. Passés les amabilités d’usage, ils jetèrent un œil dans le chariot bâché. Ils y virent des sacs de céréale, des caisses de topinembours, des arcs et quelques carquois pleins de flèches et des boucliers. Dans un coin, un paquetage avait été abandonné, avec une épée courte, un petit bouclier, une cote de maille, un casque et un tabard. Sur le tabard, l’armoirie était un cerf noir sur fond rouge.

Valéros proposa d’aller voir le bourgmestre afin de compléter leurs équipements et revoir le nécessaire pour le voyage. Mais ce fut le bourgmestre qui vint à eux, accompagné de deux villageois.

– Bonjour à tous. Vous avez bien dormi ?

– Oui, très bien, répondit Valéros. On est prêt au départ.

– Prêts au départ sous ce temps merveilleux, toujours si merveilleux.

– Reste plus qu’à charger la carriole et on est parti.

– Qu’avez-vous pris avec vous pour le voyage ?

– C’est justement pour ça qu’on voulait vous voir.

– Bon, c’est un peu pour ça aussi que je suis venu ce matin. Je vous conseillerais de prendre quelques objets utiles pour cette météo. Des planches, des cordes. Sauf si vous en avez déjà. Des haches de bûcherons; une roue de secours. Bien sûr, tout ça est aux frais du baron, cela va de soi.

– Mais pour la bouffe, pendant le voyage ? demanda Doom. On se sert parmi le chargement de la carriole ?

– Vous n’avez rien actuellement ?

– Non, juste une couverture, une torche, une gamelle…

– Tout pareil, ajouta Valéros.

Les deux autres compagnons acquiescèrent.

– J’ai hésité à emmener un bon petit fromage du pays, répliqua Uruk, mais je me suis dit que les compagnons n’apprécieraient pas son fumet.

Le bourgmestre hocha de la tête.

– Je vais donc faire amener rapidement l’équivalent d’une ration chacun. Cela devrait vous tenir une semaine, le temps d’atteindre Fort Boueux.

Le bourgmestre discuta un instant avec ses deux aides et les envoya quérir les différentes nécessités. Ils croisèrent sur leur chemin Julius Mortemire. Le noble était de mauvaise humeur. Après un énième essorage de ses cheveux, il pesta contre la pluie. Mais la pluie ne semblait pas être la seule cause de son irritabilité car il titubait et l’odeur de vinasse assaillit les aventuriers lorsqu’il arriva au chariot.

– Bon, on y va, dit-il sans ménagement.

– Bonjour, Monseigneur, força Aedine.

Julius examina Aedine de la tête aux pieds.

– Bonjour, fit-il calmement. On y va ?

– Si Monseigneur veut bien prendre place, lança Valéros.

– Bon, ben, qui prend les rênes ? demanda Doom.

– Excusez-moi, dit Julius. C’est vous qui allez m’escorter jusqu’à Fort Boueux ?

– Ouais c’est ça, c’est nous, répondit Valéros.

– Ouais, ben Fort Boueux c’est Fort Bouseux. Franchement. De toutes les façons, j’étais obligé d’y aller. C’était ça ou la prison. Vous pouvez prendre votre temps. Je ne suis pas pressé d’y arriver. Tout ça à cause d’une pimbêche qui m’accuse de lui avoir volé son collier. Un collier qu’elle m’avait offert en gage d’amour. Et je suis ici parce que j’ai préféré son collier à son amour. J’ai été puni et envoyé auprès de ma sœur.

– Eh bien, je n’aimerais pas être à votre place, répliqua Valéros.

Julius maugréa.

– Vous connaissez un peu cette région du nord ? demanda Valéros.

– Où ça ? Fort bouseux ? Je connais de réputation, par ma sœur.

– Eh bien c’est encore pire, ajouta Valéros.

Valéros tapa dans ses mains, satisfait de sa blague. Ses compagnons s’esclaffèrent.

– Allez, on y va ! ordonna Valéros.

Julius longea la carriole et monta difficilement par l’arrière. Alors que tous commençaient à marcher vers le chariot, Julius vomit par-dessus bord.

– Alors, monseigneur, on a trop profité de la vinasse de monsieur le baron ? s’amusa Aëdine.

– Oh taisez-vous. J’ai mal à la tête.

– Vu comment ça se passe, on a pas intérêt à mettre les planches à l’intérieur et le bonhomme à l’extérieur ? chuchota Doom à Valéros.

– Oh sinon avec quatre planches on peut faire autre chose, proposa Uruk.

Valéros ne répondit pas et s’installa à l’avant pour prendre les rênes. Il se coiffa de sa capuche et garda le silence. Doom s’assit à ses côtés.

Aëdine et Uruk montèrent par l’arrière. Puis le chariot s’ébranla, sortit du village par le nord, longeant les champs et le château du baron, et entama sa longue route sur le chemin du nord.

Avec une voie détrempée qui relevait plus du sentier avec ses ornières grasses et profondes, le chariot avançait doucement et les bœufs étaient à la peine. Plus tard, Uruk et Doom descendirent pour alléger le chariot et éviter que les roues s’enfoncent davantage. Puis Aëdine, plus légère, prit la place de Valéros, qui descendit à son tour. Les hommes marchèrent ainsi à côté du chariot pendant une bonne partie de la matinée. Julius s’était installé pour dormir sur les sacs de céréales. Dédaigneux, il examinait de temps en temps son escorte, avant de se rendormir.

Avant la fin de la matinée, malgré les efforts des bœufs et le délestage pratiqué, les roues finirent par s’embourber. Uruk s’attela à soulever le côté le plus enfoncé mais il ne parvint à aucun résultat. Puis Doom se plaça à l’arrière et réussit à libérer le chariot sans un effort notable. Uruk vint le féliciter d’une tape dans le dos et Valéros se félicita de ne pas s’être sali les mains.

Quelques mètres plus loin, un dénivelé apparut. La pente était légère mais la boue la rendait glissante. Aëdine, seule à diriger les bœufs, s’efforça à maintenir un semblant de contrôle sur la vitesse et le déplacement du chariot. Mais, bien que les bestiaux restaient dociles et répondaient bien aux ordres, le véhicule se mit à glisser de travers, tout doucement. Puis le chariot rencontra un obstacle caché dans la boue et bascula, entraînant les bêtes et sa conductrice.

Les trois hommes coururent à sa poursuite et retrouvèrent Aëdine et Julius dans la boue. Le premier réflexe fut d’examiner les bœufs, plus effrayés qu’autre chose. Puis ils constatèrent que le chariot était resté intact et la marchandise avait roulée dans la bâche, évitant d’être éparpillée dans la boue et les bois environnants.

Malgré tout, les aventuriers durent vider la chariot avant de pouvoir le redresser, l’attacher aux bestiaux et reprendre la route.

Julius maugréa sous un arbre qui ne le protégeait pas du ruissellement de la pluie. Il se contenta de regarder les quatre “villageois” attacher des cordes sur le flanc dressé. Puis les deux plus corpulents tentaient de soulever le chariot par le côté enfoncé dans la boue, pendant que leurs amis tiraient sur les cordes. Dès que le véhicule fut remis sur ses roues et que la bâche fut remise, Julius s’empressa de remonter à bord et surtout à l’abri.

Il fallut une bonne heure d’efforts et de labeur sous la pluie incessante pour pouvoir reprendre le voyage sur ce sentier communal qui traversait la forêt.

Aëdine, après s’être promise de ne pas refaire la même erreur, reprit les rênes. Plus tard, elle sut s’imposer sur les bœufs et les éléments quand le convoi traversa un gué boueux et piègeux.

Les corps et les esprits sentirent passer les heures, usant la concentration et les forces. Mais la nuit les surpris davantage, tombant soudainement au milieu des arbres sombres et touffus. Les aventuriers prirent la décision de déporter le chariot en bordure du sentier. Puis ils tendirent une toile pour se protéger et allumèrent un feu, pendant qu’Aëdine se chargea de produire magiquement des fruits dans le premier buisson à sa portée. Ils les agrémentèrent en partageant quelques-unes des rations données par le bourgmestre.

Pendant que les quatre amis discutaient de la répartition des tours de garde, Julius prit ses distances et s’installa sous un arbre. Il mangea seul et se permit de sortir sa propre nourriture, en plus de sa part collective.

Valéros s’approcha de lui après un moment d’hésitation.

– Comment vous allez mon lord ? demanda le rodeur.

Julius le regarda un instant avant de retourner à son repas, silencieux et aigri.

– Vous n’avez pas des histoires de châtelain ou de nobliau à nous raconter, Monseigneur ? insista Doom.

– Déjà commencez par raconter l’histoire d’un chariot qui arrive à bon port et après on verra, rétorqua Julius.

– Ah parce que maintenant vous voulez arriver à bon port rapidement ? s’étonna Doom.

– Et rapidement en plus ? ajouta Aëdine.

– Vous avez vu le temps qu’il fait ? répliqua Julius. Mais on ne va pas y passer la nuit en discutant. Enfin si, on va “y” passer la nuit justement.

– Vous savez, les bains de boue, c’est bon pour la peau, s’amusa Aëdine.

– Oui, enfin surtout pour la vôtre.

– Aëdine, intervint Doom, la prochaine fois, sur ton buisson, ne fait pas de fruit mais plutôt des carottes. J’en connais un qui en aurait bien besoin.

Quelques compagnons étouffèrent un rire. Julius s’empourpra.

– Je vous rappelle que vous avez été missionné par un document portant le sceau princier. Alors je vous conseille de ne pas toucher à ma personne.

Tous le dévisagèrent en silence.

– Vous êtes là pour faire votre mission, remporter votre petite somme malheureuse de quinze pièces d’argent…

– Vingt-cinq, reprirent certains.

– Quinze ou vingt-cinq, peu importe.

– Vous savez, la carotte, c’était dans la bouche, pas autre part, grogna Doom.

Aëdine tapa le bras de Doom pour lui faire retrouver son calme. Elle ajouta à l’intention de Julius.

– Nous voulions juste papoter un peu.

– Moi je n’ai pas envie de papoter, dit-il en rangeant ses rations dans son sac. Alors taisez-vous maintenant.

Julius se couvrit de sa couverture et se recroquevilla contre son paquetage.

Valéros grommela et Aëdine s’avoua vaincu avec un dédain amusé. Les deux autres gardèrent le silence et se concentrèrent sur leur repas.

Le dîner frugal se déroula sous le clapotis de la pluie et le silence des compagnons. Puis chacun se trouva une place sèche sous un arbre et improvisa une couche pour la nuit. Valéros prit le premier quart.

La nuit fut tranquille, la pluie avait cessée et la forêt s’avéra étrangement silencieuse. Seul un pet de barbare venait troubler de temps en temps.

La pluie retomba dès l’aube et réveilla les endormis. Chacun prit rapidement un petit-déjeuner léger, rassembla son paquetage et le replaça dans le chariot. Moins d’une heure après le lever du jour, le convoi repartit sur la route boueuse et traitre qui devait les mener jusqu’à Fort Boueux.

Aëdine avait repris les rênes, Julius se pelotonnait à nouveau au milieu des marchandises et les trois hommes marchèrent à côté du chariot. Régulièrement, les roues s’enfonçaient dans les ornières et un léger accompagnement musclé suffisait pour en sortir et avancer.

Mais au milieu de la matinée, la boue s’avéra plus prédatrice et visqueuse. Tous, sauf Julius Mortemire bien sûr, participèrent à décoincer le chariot, mais ce fut la force du barbare qui débloqua la situation après cinq bonnes minutes.

Toutefois, cent mètres plus loin, des arbres couchés entravaient la route. Le chariot ne pouvait pas passer et les aventuriers commençaient à trouver le voyage long et éreintant.

– Eh bien, heureusement qu’on avait pris les haches, rétorqua Valéros.

Doom le barbare lui arracha furieusement une hache des mains et jeta toute sa rage sur les troncs humides, avec une violence inouïe et suffisante pour éclater en trois mouvement ce “ridicule et insignifiant” obstacle.

Le barbare rendit la hache à Valéros.

– Eh bien, on continue, s’amusa Valéros.

En fin d’après-midi, chacun était empreint d’un profond mutisme de désespoir, bien que la route s’avéra plus praticable et qu’aucun incident ne vint troubler cette traversée à travers la forêt. Ils arrivèrent à la lisière de la forêt et aperçurent alors de vastes champs détrempés, encerclant un village surmontant une colline. Il était cerclé d’une palissade de rondins grisâtres, juste assez haute pour laisser les sentinelles voir par-dessus. En s’approchant au fur et à mesure, les aventuriers dénombrèrent une dizaine de toits de chaume. Ils ne virent qu’un seul accès : une petite route en pente.

En d’autres circonstances, la remonter aurait été une formalité, mais avec la pluie, l’affaire se présentait plus difficile. Valéros, Uruk et Doom se mirent à pousser le chariot, laissant toujours Aëdine diriger les bœufs. Valéros et Uruk faillirent se retrouver dans la boue quand Doom fit avancer le convoi avec une facilité déconcertante et en surprenant humanoïdes et bovins.

– Moi, je connais un ami nain qui était fort comme toi, lança Valéros. Mais il est mort face à des rats.

Le convoi et ses héros crottés et fatigués franchirent les portes du village sans le moindre contrôle. Ils purent s’avancer jusqu’à la place centrale avant que les villageois s’intéressent à eux et viennent à leur rencontre.

– Ah bonjour, déclara un villageois trapu mais encore vigoureux. Le bienvenue. D’où venez-vous ?

– De Clairvoie, répondit un Valéros épuisé.

– De Clairval ! corrigèrent ses accolytes.

Valéros esquiva d’un sourire béat.

– Et vous allez où comme ça ? Parce que par ici on ne voit pas beaucoup de voyageurs.

– On va à Fort Vieux, répondit Uruk.

– Fort Boueux ! corrigea Aëdine et Doom.

– Ça je le savais, intervint Valéros.

– Vous allez à Fort Boueux ? Vous allez ravitailler le fort ?

– Oui et amenez du renfort, répondit Valéros.

Aedine retint un rire.

– Enfin, UN renfort, ajouta Doom, parce que à priori le reste…

– D’accord, dit le villageois plutôt perplexe.

– Vous nous attendiez peut-être ? demanda Aëdine.

– Non, mais je vois que vous êtes complètement épuisés et trempés. Je vous propose de vous emmener dans notre salle commune de façon à ce que vous puissiez vous restaurer et vous reposer.

Tous les héros acquiescèrent à l’unisson.

– Ça nous fait plaisir, ajouta le villageois. On voit si peu de monde. Suivez-moi.

Le vieil homme les dirigea dans le cœur du village. Aëdine le suivait avec le chariot. Ils arrivèrent à une auberge sans grande prétention et stoppèrent le convoi près de l’entrée. Le villageois les salua et repartit à sa besogne.

Doom proposa qu’au moins une personne garde le chariot, surtout que les villageois semblaient n’avoir plus de ressources viables. Aëdine se porta volontaire pendant que ses compagnons iraient dans l’auberge.

– Pensez à me ramener une bière, lança Aëdine.

Les trois aventuriers entrèrent dans l’auberge et avancèrent jusqu’au comptoir. Mais l’aubergiste était déjà en affaire avec Julius Mortemire. Le châtelain s’était glissé à l’insu de tout le monde hors du chariot et maintenant il était à l’intérieur de l’établissement à réclamer une chambre. Le tenancier ne semblait pas habituer à converser avec un client de ce rang et aussi difficile.

Valéros amena le groupe jusqu’à l’aubergiste.

– Pourrions-nous avoir des chopes, cinq s’il vous plaît, demanda-t-il au tenancier. Je vous offre la première, mon lord ?

– Non merci. Ici et maintenant, je préfère ma propre compagnie à la vôtre, que l’on m’impose depuis hier.

Le châtelain s’éclipsa pendant que les aventuriers prenaient leurs chopes. Doom en profita pour en apporter une à Aedine.

Lorsqu’ils s’attablèrent, un homme d’âge mûr les accosta.

– Bonsoir à vous. Je suis Grunder Mark, bourgmestre de Vireux. Bienvenue parmi nous. Je vois que vous avez laissé une personne près de votre chariot. Vous savez il n’y a aucun risque et je peux mettre deux hommes pour le garder.

– De toutes les façons, on a rien à craindre ici, ajouta Valéros à l’attention de Doom.

– On reste combien de temps ? demanda Doom.

– Une journée, répondit Valéros.

– D’accord. On accepte votre offre, se résigna Doom.

Le bourgmestre fit un geste à l’intention d’un villageois armé d’une lance et Aëdine rejoignit ses amis l’instant d’après.

– Permettez-moi de vous offrir le dîner, dit le bourgmestre en désignant une autre table, plus en retrait et à l’abri des regards indiscrets.

Tous se levèrent et suivirent le bourgmestre jusqu’à la nouvelle table. Voyant l’hôte de marque accompagné sa miteuse garde rapprochée vers une autre table, Julius les rejoignit immédiatement. Rapidement, des plats communs composés de topinambours et de lard bouilli leur furent servis. Julius renifla son assiette et la repoussa avec dédain.

– Alors quelles histoires pourraient bien raconter des aventuriers comme vous ? demanda le bourgmestre. Par ce temps, je devine que le voyage a été difficile.

– On a galéré plusieurs fois, entama Valéros. On a dormi dans des conditions exécrables. Il n’arrête pas de pleuvoir depuis notre départ.

Valéros désigna Julius.

– Mais heureusement, notre ami ici présent était là pour nous remonter le moral et nous raconter ses histoires drôles.

Ses amis se retinrent de rire, n’affichant que de simples sourires amusés.

– Je lève un verre à Milord, lança Valéros.

– Ouais un verre pour Milord, souffla Doom.

– Ouais, bah vous verrez quand on sera à Fort Boueux, vous rigolerez moins, persifla Julius.

– Faudrait déjà qu’on y arrive, rétorqua Valéros.

– Et vous n’avez rencontré personne sur votre chemin pendant ces deux jours ? demanda Grunder Mark.

– Non, personne sur la route, répondit Valéros. Cela ne m’étonne pas avec le temps qu’il fait.

– Faut être des fous pour sortir par un temps pareil, ajouta Uruk.

– On parle beaucoup de bêtes errantes, de bandits, murmura le bourgmestre.

– Même les bandits sont restés à l’abri, s’amusa Valéros.

– Voire quelques gobelins.

– Ça on en a tué.

– La population des gobelins a fortement diminué ces derniers temps, ajouta Doom.

– C’est à dire ?

– Disons que l’on a fait un petit ménage récemment, intervint Aëdine.

– Vous avez eu maille à partir avec des gobelins ?

– On en a tué quelques-uns, dit Valéros.

– Et dans quel cadre ?

– Ils avaient envahi un temple qu’un prêtre nain avait construit à Clairval.

– Vous avez dû en entendre parler, déclara Aëdine. Il devait y avoir une inauguration.

– Oui car je connais bien le baron Rodrigue de Hautepierre, affirma le bourgmestre. Et le temple n’a toujours pas été inauguré ?

Valéros ricana.

– Eh bien non. C’est que le problème, c’est qu’on ne retrouve plus le prêtre nain. On ne sait pas où il est.

– Vous ne savez pas où il est parti ?

– Non, aucune idée figurez-vous.

– Il n’est pas revenu, ajouta Aëdine. Il est parti dans les montagnes.

– D’accord.

Le bourgmestre réfléchit un instant.

– C’est vrai que ça fait un moment que j’ai vu Karoom. Il avait parfois l’habitude de passer par chez nous. C’est bizarre.

Les héros et le bourgmestre continuèrent à discuter toute la soirée. La vie de chaque village ; la météo ; les cultures qui pourrissent. La soirée était bien entamée quand le bourgmestre se leva pour partir en cuisine. À ce moment-là, Uruk s’intéressa à Julius et à son attitude désobligeante envers les autochtones. À force de dénigrer la discussion avec le bourgmestre, de se plaindre bruyamment de la nourriture, de vociférer quelques insultes sur la rusticité du village et de ses habitants, les clients de l‘auberge le toisaient à distance, reportant des questions inconvenantes et silencieuses sur son escorte d’aventuriers.

Mais au moment où Uruk allait lui dire ce qu’il pensait de la mauvaise attitude du châtelain, celui-ci quitta la table, s’installa sur une table isolée et ne perdit pas une seconde avant de faire une cour assidue auprès d’une jeune fille intéressé par ce bel étranger.

Uruk fit un signe à Valéros et lui désigna Julius et sa nouvelle conquête d’un soir.

– À la limite, pendant ce temps-là, il embête personne d’autres, rétorqua Valéros.

– C’est sûr qu’il n’embête personne là, admit Doom.

– Elle pourrait se faire avoir comme la précédente, déclara Aëdine.

– Ouais, c’est son problème à elle, indiqua Valéros. Mais à mon avis, vu que ce sont des ploucs qui n’ont pas un rond, elle ne risque pas de lui donner un collier.

La jeune fille et Julius semblaient se rapprocher, s’isolant davantage du reste de la salle. Elle sembla plutôt favorable à ses avances, peu habituée aux sollicitations d’un châtelain.

– Pendant ce temps, il nous fout la paix, tenta Doom pour clore le débat.

– Mais il est pas possible ce Doom, s’offusqua Aëdine.

– Au moins il fait plus la gueule, s’amusa Valéros.

– Il pourrait bien la mettre en cloque, insista Aëdine.

– D’ici qu’elle s’en rende compte, nous serons déjà parti, ironisa Doom. On pourra même retraverser le village.

Les trois hommes éclatèrent de rire.

Le bourgmestre revint avec un jambon cuit sur une planche et un couteau à viande.

– Je suis allé nous chercher ceci. J’espère que vous aimerez.

– C’est qui cette jeune fille là-bas avec Julius ? demanda Aëdine.

Le bourgmestre fut perplexe le temps d’associer le prénom avec l’individu noble assis au fond de la salle.

– Ce noble discute avec ma fille.

Un silence se fit soudain autour de la table.

Valéros se leva soudain et rejoignit les tourtereaux d’un soir. Arrivant dans le dos de Julius, il lui mit sa main sur l’épaule.

– Eh oh, s’offusqua Julius. Tu ne vois pas que je suis en train de parler à la demoiselle, là.

– Oui, je vois ça.

– Et je ne te permets pas de mettre la main sur moi.

– Certainement.

Valéros se tourna vers la jeune fille.

– Mademoiselle, s’il vous plaît, vous voulez bien nous laisser cinq minutes tous seuls, pour que l’on puisse discuter.

La jeune fille se leva, incrédule, et s’éloigna.

– On est invité Milord, dit Valéros. Et c’est la fille du bourgmestre, on va donc essayer de se tenir tranquille.

– Et donc c’est la fille du bourgmestre, et alors ? s’esclaffa Julius.

– Et bien on va essayer de ne pas se faire jeter du village, s’énerva Valéros.

– On ne va pas se faire jeter du village, puisque c’est la fille que je vais avoir pour la nuit.

– Alors non la fille ne sera pas à vous pour la nuit et vous, milord, vous irez vous coucher tout seul, sinon vous allez vous en prendre une. Sauf votre respect bien sûr.

– Et sur quel droit vous osez me parler de la sorte, manant.

Valéros encaissa l’insulte sans sourciller et repris.

– Vous touchez à la demoiselle et je vous colle vraiment une beigne.

Julius s’apprêta à répondre mais Valéros retournait déjà à sa place avant que le moindre mot ne sorte de la bouche du noble.

Valéros se rassit à la table du bourgmestre.

– Ah décidément la bière est bonne chez vous !

– Oui, elle me monte au visage aussi, ajouta le bourgmestre.

Valéros continua d’avoir un œil sur Julius, qui s’apitoyait à nouveau sur son sort, restant dans son coin, sans que la jeune fille ne revienne le revoir. Par précaution, Aëdine décida d’aller voir la fille du bourgmestre et la retrouva auprès d’autres jeunes du village.

– Bonjour, comment vous appelez-vous ?

– Bonjour, je suis Lycia.

– Très joli nom. J’ai vu que vous aviez sympathisé avec Julius.

– Oui. Julius m’a parlé de lui. Qu’il avait rencontré une fille, qu’elle lui avait menti et l’avait manipulé. Alors par désespoir, il avait décidé de quitter sa ville et d’aller servir à Fort Boueux.

– C’est beau menteur, mais bon.

– Moi je ne sais pas. Je le trouve plutôt mignon.

– De vous à moi, je vous conseille de vous méfier. En fait, il a volé la jeune fille en question. C’est la première chose qu’il nous a dit quand on l’a rencontré.

– Ah bon ? Et vous le connaissez bien ?

– Pas plus que vous, si ce n’est de quelques jours. Certes je ne le connais pas plus que ça, mais il m’a raconté une histoire et il vous en a raconté une autre. Je vous conseille juste de vous méfier.

– Vous pensez donc que c’est un beau parleur. Je vous remercie d’être venu me prévenir.

Aëdine salua et revint à la table des héros.

Le dîner se termina et le bourgmestre Mark leur proposa de dormir à l’auberge gratuitement, leur fournissant les meilleures chambres.

– Et pour Julius, c’est une chambre de bonne ? demanda Uruk.

– Je ne peux pas me permettre de mettre votre jeune ami dans une chambre de bonne, s’amusa le bourgmestre.

– Pour lui, même la meilleure chambre de votre auberge ne serait qu’une chambre de bonne, déclara Uruk.

Le bourgmestre comprit très bien l’allusion et sourit. Tous le remercièrent pour l’hospitalité et il leur rendit la politesse.

– Comptez sur nous pour rappeler au baron l’excellent accueil que nous avons reçu dans votre village, ajouta Valéros.

Ils retrouvèrent Licia à l’étage. Elle semblait impatiente de leur parler en privé.

– C’est vous qui aviez retrouvé Louky ? demanda-t-elle.

– Oui, c’est mon ami Valéros et moi, répondit Aëdine.

– J’ai cru entendre que vous étiez davantage.

– Oui, nous étions quatre, admit Aëdine. Mais nous avons perdu notre cher ami Nick,  et Anastasia a préféré se retirer.

– Elle est entrée dans les ordres, ajouta Valéros.

– Je comprends mieux. Parce que Louki est mon petit cousin. Je voulais vraiment vous remercier. Et aussi pour Julius, car il est revenu me voir. Oh, discrètement bien-sûr, car il ne voulait pas que vous le voyez faire. Il voulait me compter fleurettes dans le cellier. Bonne nuit.

La jeune fille les quitta et chacun alla dans sa chambre. La nuit fut paisible et chacun se reposa à son gré.

Au réveil, les quatre aventuriers profitèrent d’un petit déjeuner frugal offert par le bourgmestre. Une heure après vint le moment de repartir. Les héros rejoignirent le chariot en premier, vérifiant l’attelage et le chargement. Julius arriva en dernier. Il semblait satisfait comme un coq et marcha avec allégresse vers le convoi. Derrière lui, sur le perron de l’auberge, tous purent voir le jeune Lycia observer leurs préparatifs de départ. Et l’œillade de Julius à son encontre. La fille du bourgmestre ne répondit pas. Ce qui n’empêcha pas Julius d’afficher un sourire d’insolence et de satisfaction à l’attention des quatre escorteurs.

Uruk dévisagea ses amis.

– C’est de l’esbroufe.

– Bon, allez on y va, dit Valéros, dépité.

Aëdine reprit les rênes et Valéros s’assit à ses côtés. Doom et Uruk restèrent à pied. Julius s’était à nouveau installé au-milieu des marchandises, retrouvant son confort des jours précédents dans une position allongée.

– Ah ! J’ai passé une bonne nuit à trousser de la paysanne, déclara le châtelain.

Personne ne répondit mais Valéros commençait à s’énerver.

Le chariot quitta le village sous une pluie faible et les encouragements des villageois, et il s’engagea sur la route du nord.

Rapidement, le chariot fut secoué et maltraité sur une route cahoteuse. Il ne fallut que quelques dizaines de mètres avant de rencontrer la première difficulté. Mais Aëdine réussit avec dextérité à contrôler le chariot lors d’une descente.

Puis la boue lourde et profonde refit son apparition. Valéros dut descendre du chariot. Bien sûr, malgré les bonnes volontés, le chariot se retrouva embourbé. Une fois encore, Doom parvint rapidement à libérer le chariot.

Plus tard, ils firent face à une marre d’eau qui les obligea à en faire le tour par la lisière du bois. Les quatre compagnons se retrouvèrent à devoir tailler dans des arbres pour offrir un passage au chariot. Doom montra des signes de fatigue alors qu’Aëdine s’avéra plus efficace à la hache.

L’après-midi se révéla plus épuisante encore. Une nouvelle zone marécageuse, plus longue que les précédentes, les piégea encore, car les bœufs aussi étaient fatigués. Cette fois-ci, ni Doom ni Uruk ne parvinrent à débloquer le chariot. Les efforts furent si intenses qu’une roue cassa. Il fallut deux bonnes heures pour la changer et sortir pour de bon de cette suite d’ornières visqueuses.

La nuit tomba sur la forêt et le groupe décida de faire halte pour se reposer. Ils décidèrent de dormir sous la protection de la bâche, dans le chariot, et les tours de garde furent réparties parmi les compagnons, s’abstenant toute réclamation auprès de Julius.

La nuit était bien avancée quand Uruk prit son tour de garde. Les veilles précédentes avaient été d’un ennui mortel pour ses compagnons. Ce ne fut guère différent pour lui et le prêtre se contenta de marcher en long et en travers, ne s’éloignant guère du chariot.

Quelques rares animaux signalaient leurs présences. La forêt restait ténébreuse, même pour les yeux de chat d’Uruk le semi-orc. Des chauves-souris et une chouette survolèrent le convoi. Des arbres à moisis et des buissons touffus de gris remplissaient son champ de vision. Des craquements de brindilles ou des branches qui tombaient alimentaient son stress. Puis il y eut ces deux yeux jaunes à travers un buisson.

Uruk se figea. Les yeux étaient ronds et lumineux. Ils le fixaient étrangement. Uruk compris qu’il s’agissait d’un animal tapi dans le fourré. Il décida de s’en approcher, doucement, avançant mètre après mètre. Le fourré se mit à bouger légèrement, démontrant que l’animal hésitait à s’enfuir. L’orc était peu rassuré sur son initiative et sa main sûre était prête à brandir de sa masse. L’animal accepta de se montrer avant qu’Uruk ne l’atteigne. Le semi-orc s’arrêta net et examina la corpulence et la fourrure d’un grand loup noir. Le canidé s’arrêta à son tour aux pieds du prêtre, l’examina de la tête aux pieds, et lui renifla la main porteuse de l’arme. Le loup restait calme, presque docile. C’était qu’avec son garrot à hauteur d’une hanche d’homme, Uruk ne tenait pas à le contrarier.

Puis l’animal sauvage fit le tour du chariot, humant l’air de temps en temps. Uruk resta à l’écart. Le loup n’avait aucune malignité, juste un peu trop de curiosité peut-être.

Finalement il s’approcha des bœufs et l’un d’eux réagit à sa présence ressentie. Le loup n’en demanda pas plus, traversa la route et disparut dans la forêt.

Uruk s’amusa de cette rencontre fortuite et reprit sa ronde nocturne et solitaire.

Soudain, surgit un cri étrange mais humanoïde. Il semblait provenir de la même direction que celle prise par le loup. Uruk n’aurait su dire s’il s’agissait d’un cri de terreur ou d’agonie. Il réfléchit une seconde, examina l’obscurité de la forêt, et décida finalement de réveiller Doom, dont son tour de garde n’allait pas tarder.

Une fois redescendus de la carriole, Uruk lui expliqua ce qu’il avait vécu et entendu.

– Donc un loup t’a tourné autour ? demanda Doom. Il a disparu et tu as entendu plus tard un cri dans la même direction ?

– Oui.

– C’était un bruit particulier ?

– Je ne sais pas trop si c’était un cri de douleur ou… c’était étrange. Juste un bruit très court.

– Et le loup t’a tourné autour sans rien faire ?

– Non, il n’a pas été agressif ni quoique ce soit d’autre. Il m’a reniflé. Il avait l’air normal.

– Un loup solitaire pas craintif ni malade ? Allons réveiller les autres.

Valéros ne mit pas longtemps à réagir après les explications d’Uruk et de Doom.

– Quoi ? s’exclama-t-il. Vous avez vu un loup et vous n’êtes pas venu me réveiller plus tôt ! Mais putain, un rodeur ça vous fait penser à quoi, un rodeur ? À un canard ? Nan ! Une grenouille ? Nan ! Un rodeur à un loup.

– Rodeur, ça rime aussi avec violeur et pourtant on n’a pas pensé à toi, ironisa Doom.

– Je donnerai une elfe pour un loup, ajouta Valéros.

– Quoi ? réagit Aëdine la demi-elfe.

– Donc on fait quoi ? demanda Doom.

– Faut aller voir, répondit Valéros.

– J’ajoute que peu de temps après, Uruk a entendu un cri un peu particulier. Surtout humanoïde. Est-ce que le loup ne serait pas finalement un lycanthrope ?

Aëdine fut surprise par cette réflexion pendant que Valéros dodelinait de la tête.

– Il faut aller voir, tout simplement.

– Je vous propose que je reste à surveiller la carriole, dit Doom.

– Il fait nuit noire et il pleut toujours, rétorqua Valéros. On va y aller mais demain matin.

– Tu ne veux pas essayer d’attraper un loup, lança Aëdine.

– Ah si je veux bien essayer de chopper un loup, mais pas en pleine nuit.

– Et si le cri de douleur qu’Uruk a entendu était le loup pris dans un piège. Il y a un risque qu’il meurt avant qu’on le retrouve, dit Doom.

– C’est pas bête, admit Valéros.

– Donc moi je vais rester à la carriole avec le noble.

– Oui, avec Aëdine. Et Uruk vient avec moi.

– Et puis on va se permettre d’allumer des torches aussi, ajouta Doom.

Doom et Aëdine tentèrent d’allumer des torches, mais la pluie intense maintenait les extrémités trop humides. Pourtant Uruk y parvint et donna sa torche à Valéros. Le semi-orc se contenterait de ses yeux adaptés à l’obscurité.

Valéros et Uruk s’enfoncèrent dans la forêt devenant silencieuse au fur et à mesure de leur progression. Ils examinèrent chaque recoin, pour autant que ces recoins puissent être examinés au milieu des ombres. Ils ne virent rien de particulier et continuèrent d’avancer dans la direction du bruit entendu par Uruk. Après un long moment de recherche infructueuse, ils revinrent au convoi.

– On a rien trouvé, annonça Valéros. De toutes les façons, si le loup était blessé, on l’entendrait encore.

Tous acquiescèrent, il était temps de reprendre une nuit normale. Doom prit son tour de garde pendant que ses compagnons retournaient se reposer.

À l’aube, après un petit déjeuner vite expédié, le groupe repartit sur la route détrempée. Après quelques centaines de mètres, des troncs barraient la route. Doom s’essaya à la hache mais il semblait fatigué et Uruk vint en renfort. Le bois se révéla dur et traitre, car le barbare et le prêtre se blessèrent, griffés par les ételles volant dans l’air.

Juste après avoir dégagé les troncs, le barbare découvrit des traces importantes de sang frais qui avaient goutté jusqu’au sous-bois. Doom avertit ses compagnons. Valéros et Uruk s’enfoncèrent alors dans le sous-bois, traversèrent les fourrés et découvrirent un cadavre d’orc arborant une peinture de crâne blanc sur le visage. Valéros l’examina et trouva la morsure à la gorge qui l’avait tuée. Il n’y avait aucun autre indice sur et autour du corps refroidi.

Ils retournèrent à la carriole et le groupe reprit la route. Aëdine avait toujours la charge du chariot mais ses trois compagnons se retrouvaient maintenant à surveiller les abords.

Une nouvelle mare, presque un étang, se présenta devant eux. Ils le contournèrent en coupant quelques arbres pour créer un passage assez large pour le chariot. Mais la rive gauche qu’ils avaient choisie se révéla sans issue et ils durent faire demi-tour. Faire reculer l’attelage s’avéra plus facile que de supporter les railleries de Julius, nourries de son dédain habituel. Les quatre aventuriers recommencèrent leur harassant labeur par l’autre bord de la grande mare. La tâche fut accomplie par Aëdine et Doom et la rive droite sembla plus facile à débroussailler.

Après tant de difficultés, ils s’autorisèrent une pause afin de reprendre un peu de force, au risque de diminuer leur vigilance. Ce fut de moment-là que choisirent des orcs pour les attaquer. Au nombre de cinq et portant tous une marque blanche sur le visage, ils se jetèrent sur les compagnons et l’un d’eux s’infiltra dans le chariot. Chacun, Julius compris, se trouva un adversaire, parfois de sa taille, souvent plus imposant et entraîné. Les épées sifflaient l’air avant de rencontrer la chair ou le vide. Ainsi Aëdine, Uruk et Doom subirent une blessure importante quand Julius et Valéros esquivaient de peu. Finalement Doom transperça son adversaire et vit ses compagnons faiblir sous les coups d’estoc. Quant à Julius, il tentait de fuir mais il se prenait les pieds dans sa cape. La pluie incessante gênait les combattants et tous semblaient s’épuiser facilement. Certains, comme Aëdine, se blessaient eux-mêmes.

Doom avait rejoint Julius et engagea le combat avec son adversaire. Il le tua à la deuxième passe, pendant qu’Uruk se débarrassait du sien. Puis les deux derniers orcs n’en demandèrent pas plus et s’enfuirent dans les forêts. Dans un dernier relent de rage, Doom lança un javelot et le planta dans le dos d’un couard vert.

Les escorteurs reprirent leurs esprits et leurs calmes. Valéros examina les orcs morts et récupéra leurs bourses d’argent. Le prêtre semi-orc soigna tous ses compagnons. Julius s’approcha de Doom et lui dit : « De toutes les façons, tu n’as pas été capable de m’aider. »

Valéros partagea le butin de vingt-cinq pièces d’argent. Il en donna 6 à chacun de ses compagnons et jeta la dernière à Julius. Le châtelain vint se coller à Valéros et cracha de défiance sur le sol. Valéros ne faillit pas et soutint le regard haineux du noble.

– Allez, on continue, ordonna Valéros. Voici ce que j’ai trouvé d’autre sur nos assaillants.

Il présenta un torque, un collier rigide en argent, gravé d’un motif de poissons.

– C’est le torque de ma sœur, s’exclama Julius.

Son attitude changea littéralement.

– Il faut aller au fort immédiatement. Il est arrivé quelque chose à ma sœur. Il faut lui porter secours.

– Et bien il va falloir nous aider pour avancer, rétorqua Aëdine.

– Mais là, il n’y a pas de problème. Je vais vous aider. Il s’agit de ma sœur. C’est ce que j’ai de plus précieux au monde.

2e partie : Fort Boueux

Les efforts cumulés permirent d’atteindre les limites de la forêt en moins d’une heure. Ils tombèrent sur une clairière et virent à trois cent mètre de distance un édifice intact et fortifié. Une simple enceinte rectangulaire encerclait le camp, un lourd donjon surplombait l’entrée et deux tours bordaient le profil de l’édifice militaire. La plaine était gorgée d’eau, créant un immense lac. Quelques cultures perçaient la surface et pourrissaient en-dessous. Mais une route faîte de remblaie offrait une voie praticable et sûre jusqu’au fort.

Au loin, les héros parvenaient à distinguer deux soldats portant lances et boucliers. Ils semblaient en mouvement sur le chemin de ronde.

– Bon bah allons à Fort Boueux, lança tristement Valéros.

– Y’a que de la boue tout autour, c’est que ça doit être ça, ajouta Uruk.

– Ce sont bien des gardes vivants ? s’inquiéta Doom.

– Les orcs, en général, quand ils pillent un château, ils ne laissent pas des gardes derrière eux, rétorqua Valéros.

– Comme tu veux, mais ça reste une forteresse, donc aussi utile pour les orcs.

– Ok, on va voir.

– Ça se trouve, ce sont des orcs déguisés, ajouta Uruk.

– Quoi qu’il en soit on avance, insista Valéros.

– C’est toi le chef, dit Doom.

– Nan, nan, intervint Julius. Qu’est-ce qui vous dit que là-bas ce ne sont pas des orcs. Peut-être que ce sont des orcs, Peut-être que ce ne sont pas des orcs. On n’en sait rien. On ne peut pas savoir d’ici. Moi je veux sauver ma sœur et je veux prendre le moins de risque possible.

– Moi ce que je vous propose c’est qu’on attende la nuit, dit Valéros. On est complètement à découvert sur cette route.

– Et qu’on envoie Uruk qui voit la nuit ? demanda Doom.

– On pourra y aller tous les cinq.

– Oui, mais si c’est de nuit… Je préfèrerais qu’on y aille maintenant, dit piteusement Julius.

– Tu connais un chemin pour y aller sans qu’on nous voie, demanda Aëdine.

– Il n’est jamais venu ici, répliqua Valéros.

– Peut-être que sa sœur lui en a parlé, tenta Aëdine.

– Je suis désolé mais je n’ai pas envie de les attaquer en plein jour, dit Valéros.

– Et pourquoi on n’irait pas comme de simples gens, l’air de rien, proposa Julius.

– C’est-à-dire le plan que j’ai proposé au début et que vous avez refusé, répliqua Valéros.

– Le plan que vous avez proposé, c’était en considérant que ce n’était pas des orcs, corrigea Julius.

La décision était prise. Les héros hésitèrent à prendre le chariot, mais Julius leur proposa de s’en servir comme couverture.

Après un long moment de palabres, le chariot s’avança. Valéros avait pris les rênes, caché par un poncho. Aëdine resta à ses côtés. Les trois autres compagnons se cachèrent à l’arrière, les bâches complètement fermées. Ils espéraient que les gardes les laisseraient entrer dans le fort sans réticence, quel que soit la nature de ces gardes.

Le chariot s’arrêta au bord de la fosse qui séparait la route du fort. Presque au pied des remparts, aucun ne parvenait à distinguer les gardes, masqués au fur et à mesure par les créneaux.

– Ohé du château, s’exclama Valéros.

Le pont-levis se baissa et les portes s’ouvrirent sans un mot des gardes. Valéros fit avancer le chariot.

Une fois à l’intérieur, l’escorte vit une place centrale vide, sans la moindre trace de lutte ou de pillage. Mais guère plus de soldats. Les deux sentinelles avaient notamment disparu des remparts. Un silence de mort régnait dans le fort.

Valéros amèna le chariot près d’un bâtiment qui amenait au donjon et stoppa les bœufs. Il descendit et fit le tour du chariot, laissant son regard fureter à droite et à gauche.

Soudain deux orcs surgirent en sortant du bâtiment, surprenant Valéros et ses compagnons. Le premier rata son coup d’estoc et Valéros esquiva le second. Tous ses amis se jetèrent à sa rescousse. Doom se blessa en sautant, la flèche d’Aëdine ricocha sur un plastron volé, un orc blessa sérieusement Valéros et le second se blessa tout seul. Seul Valéros parvint à toucher un adversaire.

Puis Doom s’attaqua à l’orc sain et le tua sur le coup. L’orc survivant mit Valéros à genoux, pendant qu’Uruk et Julius le manquèrent. Valéros lui infligea ensuite une éraflure. Finalement Doom transperça littéralement le dernier orc et mit fin à ce combat.

– Bon, quelqu’un peut s’occuper de relever Julius pendant que je fouille les orcs, ordonna Valéros.

Les corps n’offrirent rien d’intéressant. Puis le groupe se présenta devant la première porte à leur portée. Valéros avait pris la tête mais hésita à rentrer. Julius le bouscula, emporté par une rage soudaine.

– Bon je vais y aller, puisque vous avez tous peur, répliqua-t-il.

Une fois à l’intérieur, il constata qu’il s’agissait des écuries et en fit part à aux aventuriers. Les héros entrèrent à leur tour. L’écurie était divisée en douze stalles. Seuls quatre étaient occupées.

Une autre porte se présentait sur la gauche, fermée. Uruk la franchit en premier et découvrit une grande salle d’arme et d’entraînement. Au fond, un escalier en colimaçon montait à l’étage. Mais personne ne les attendait ici. Ni ennemi à la peau verte, ni soldat humain. Uruk en profita pour examiner les râteliers afin de se trouver une nouvelle arme, mais ce n’étaient que des armes d’entraînement, et uniquement pour des humains.

Doom monta le premier l’escalier en colimaçon, suivi de ses compagnons et de Julius. Ils déboulèrent dans un dortoir inoccupé proposant six couches. Au fond, un couloir enjambait l’entrée du fort et apparurent la roue et les engrenages qui commandaient le pont-levis. Valéros bouscula Julius et l’envoya alors en première ligne. Au bout du couloir, ils traversèrent un autre dortoir vide et poursuivirent vers un escalier en colimaçon qui montait au dernier étage. Ils arrivèrent sur un petit vestibule avec deux lits et une nouvelle porte fermée. Doom l’ouvrit sans attendre.

Un sergent orc, prévenu de leur présence par leur traversée peu discrète du fort, les attendait dans une chambre richement meublée. L’orc puissant attaqua immédiatement Doom, qui restait seul devant la porte, et lui infligea une belle blessure. Doom riposta sans efficacité. Le barbare recula alors, avec l’idée que l’orc le suivrait à l’extérieur. Mais l’ennemi ne bougea pas d’un pouce. Il avait compris la tactique de l’humain et l’usait pour son propre avantage.

Julius s’excita alors, plein de rage et de désespoir, insista dans sa percée et se lança dans le combat. Toutefois, Doom et Aëdine décidèrent de tout faire pour garder l’orc vivant et l’assommèrent après deux tentatives.

Les aventuriers assirent le chef orc sur une chaise et le ligotèrent. Le groupe décida de poursuivre l’exploration de la forteresse. Aëdine proposa de laisser Julius avec l’orc jusqu’à son réveil, mais Doom n’eut pas confiance. Valéros, conscient du problème, décida d’éclaircir la situation avec Julius.

– Celui qui sait où est votre sœur, c’est cet orc.

Julius opina de la tête.

– Donc si vous le tuez, nous perdons des informations précieuses. Après si vous arrivez à le faire parler, ma foi. Mais je vous recommande de le laisser en vie et de veiller sur lui.

– Vous croyez vraiment que je veux veiller sur lui ? répliqua Julius. Je suis d’accord pour le faire parler.

– Ce que je veux dire, c’est que pour l’instant il dort…

– Si on veut.

– Vous veillez à ce qu’il ne s’échappe pas, et lorsqu’on reviendra, on l’interrogera tous ensemble.

– Moi je n’ai pas confiance, insista Doom. Je pense que l’on devrait laisser quelque d’autre avec l’orc.

– J’ai dit que j’étais d’accord pour rester, dit Julius.

Doom se tourna vers Valéros.

– Tu as confiance toi ?

– Pourquoi veux-tu qu’il tue l’orc ? C’est le seul à savoir où est sa sœur.

– Et si l’orc se réveille avant qu’on soit revenu et que Julius décide de l’interroger sans nous, qui te dit qu’il n’ira pas trop loin ?

– Non, il ne le tuera pas.

– Ce que Doom veut dire c’est si Julius le torture mais juste un peu trop, argumenta Uruk.

– Oui, je vois où vous voulez en venir, admit Valéros.

Il fixa Julius du regard.

– Je sais que vous avez envie de le torturer, et moi aussi, mais ne le faîtes pas sinon nous allons perdre beaucoup.

– Moi tout ce que je veux c’est qu’il me dise où est ma sœur, grogna Julius. Donc je ferai tout ce qu’il faut pour qu’il parle.

Dépité, Valéros s’adressa à ses compagnons.

– Donc il faut qu’on laisse quelqu’un d’autre avec Julius.

Uruk se proposa. Aëdine, Doom et Valeros partirent sans attendre. Ils prirent le second escalier en colimaçon et disparurent à l’étage inférieur.

Il ne fallut pas une minute à Julius pour s’exciter davantage, et encore moins pour convaincre Uruk de réveiller l’orc. Julius lui donna de grandes claques et l’orc se réveilla abasourdi.

– Où est ma sœur ? Où est ma sœur ?

L’orc semblait ne pas comprendre la langue des humains et resta dans l’expectative un moment. Puis il éclata de rire, regardant Julius avec dédain. Julius recommença à cogner, puis sortit sa dague. Uruk réagit alors et arrêta le geste de Julius. Le prêtre se mit à parler à l’orc dans sa langue natale.

– Je vous conseille de parler, sinon cela risque d’aller très loin.

– Qui tu es pour me donner des ordres ? Toi qui n’es pas un orc, sale bâtard. De toutes les façons, je ne dirais rien.

Julius devint nerveux et saisit à nouveau le sergent orc.

– Allons-y mollo, Julius, fit Uruk au châtelain.

– Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

– Bah apparemment, il ne dira rien. Peut-être que quand on sera plus nombreux, il changera d’avis.

Julius fixa son regard dans celui de l’orc. Il commença à jouer avec la pointe de sa dague sur la joue de l’orc. L’entaille laissa couler du sang, mais l’orc garda son calme.

– Vous êtes sûr de rien vouloir dire ? demanda Uruk en orc.

Julius se mit soudain à hurler sur l’orc, répétant sans cesse sa question. Mais l’orc ne répondait rien et réagissait à peine. Soudain il cracha au visage de Julius.

– Il est mort, s’enragea Julius.

Et d’un geste sûr, le noble trancha la gorge de l’orc sans qu’Uruk n’ait le temps de réagir.

Les trois autres compagnons étaient déjà au rez-de chaussée et se retrouvèrent dans le messe. Ils découvrirent dans un coin un charnier humain fait de soldats massacrés. Les corps avaient été torturés et démembrés. Valéros rechigna à fouiller les dépouilles humaines mais Doom espéra y trouver un trousseau de clés. Mais il ne trouva rien, même pas une pièce de cuivre.

Valéros décida d’ouvrir la porte suivante. Elle amenait sur une cuisine ordinaire mais toute chamboulée. Un groupe d’individus l’avait traversée comme une tornade.

Les compagnons décidèrent de poursuivre. Ils sortirent de l’édifice et traversèrent la grande place d’armes sous la pluie. Ils allèrent jusqu’au seul escalier qui amenait au chemin de ronde et qui permettait d’accéder aux tours. Ils le gravirent et entrèrent dans la première tour.

Ils tombèrent sur ce qui semblait être une salle des gardes, totalement éclairée par une dizaine de torches. Un escalier au fond montait et, au centre, une trappe ouverte donnait sur une réserve en sous-sol. Valéros alluma une torche et se pencha par la trappe pour voir le fond de la pièce sombre. Seule une corde permettait de descendre. Une odeur nauséabonde remontait aux narines. Un lit de paille humide couvrait le sol et aucun homme ou créature ne semblait être présent. Même sous les appels de Valéros, rien ne bougea. À première vue, il n’y avait aucun autre accès que la trappe.

Valéros se releva et les trois héros montèrent au second étage. Sous la faible lueur de la torche de Valéros, ils virent une femme recroquevillée dans un coin. Sa tenue tenait plus à celle d’une guerrière qu’à une courtisane. Elle était enchaînée et la lisse de métal forgé courrait jusqu’au mur. Elle redressa la tête en silence et prit peur en voyant les trois inconnus s’approcher d’elle.

– Je ne dirais rien, je ne parlerais pas.

– C’est une manie dans ce château, murmura Valéros.

– Qui êtes-vous ? demanda la prisonnière.

– Valéros pour vous servir. On est venu avec votre… frère, tenta Valéros.

– Mon frère ? Il est où ? demanda Andra Mortemire

– Il est dans un autre bâtiment.

Andra céda soudain et se mit à pleurer.

– Je comprends tout à fait ce que vous ressentez. C’est bientôt fini.

Aëdine et Doom examinèrent les maillons de la chaine et les serrures des entraves.

– Ce sont les orcs qui vous ont enchaînée, demanda Valéros.

– Oui. Ils ont massacré la garnison et ils m’ont enchaînée ici depuis.

Doom voulut tenter de briser les chaînes à la seule force de ses bras, mais Valéros et Aëdine se rappelèrent qu’ils n’avaient pas fouillé l’orc. Ils proposèrent de retourner immédiatement auprès du prisonnier vert.

– Oui, c’est lui qui a les clés, ajouta la princesse.

– Bon ben j’y retourne immédiatement, dit Valéros.

– Vous avez tué combien d’orcs ?

– Trois ou quatre.

– Plus ceux sur le chemin, ajouta Aëdine.

– Ce qui fait combien, noble héros ?

– Deux de plus sur le chemin, donc cinq.

– Alors il y en a davantage encore en vie.

Dans la chambre d’officier, Uruk constata la mort de l’orc.

– Eh bien heureusement qu’on devait le garder vivant.

– Il n’aurait pas parlé de toutes les façons. Il faut que je retrouve ma sœur.

Uruk voulut le calmer avec courtoisie. Mais Julius n’écoutait pas et fouillait l’orc. Il trouva un trousseau de clés. Il se jeta rapidement vers la sortie, mais Uruk lui barra le passage.

– On va attendre les autres.

– Non, non. Mais les autres doivent être ailleurs dans le fort.

– Justement on ne sait pas où ils sont.

– Il ne faut pas perdre de temps. Il faut retrouver ma sœur. On va explorer le fort et fouiller toutes les pièces.

– Et vous allez explorer le fort tout seul ? demanda Uruk.

– Avec vous et on va retrouver les autres.

– Et vous voulez passer par où ?

– Par la cour intérieure.

– Je ne suis pas d’accord.

– Et vous proposez quoi ?

– Je veux qu’on attende les autres ou qu’on les rejoigne.

– Pour les rejoindre, il faut bien passer par la cour intérieure, réfléchissez !

– Oui mais nous ne sommes que deux.

– C’est bien pour cela que je veux rejoindre les autres, afin d’être plus nombreux pour sauver ma sœur.

– On ne sait pas où ils sont maintenant. Ils pensent que nous sommes ici et si on s’éloigne, on ne reformera pas le groupe.

– Ecoutez, on est en train de perdre du temps.

– Justement, si on part d’ici et qu’ils reviennent, on va perdre encore plus de temps.

– À l’heure qu’il est, ils ont sûrement déjà retrouvé ma sœur. Ou peut-être pas. Dans tous les cas, mieux vaut qu’on bouge d’ici plutôt qu’on reste ici comme deux idiots.

– Ils savent qu’on est là, ils ne vont plus tarder.

Julius se calma et réfléchit.

– Ok, tu as raison, on va attendre dix minutes. Et quand je dis dix minutes, c’est même plutôt cinq.

Dans la cellule, Valéros proposa de repartir auprès de l’orc pour récupérer la clé, mais en laissant la princesse seule. Doom et Aëdine exprimèrent leur désaccord. La princesse fit alors savoir qu’il n’y avait rien à craindre dans la cellule et qu’ils feraient mieux de repartir tous ensemble au cas où des orcs embusqués les attendraient.

Les trois compagnons quittèrent donc la princesse sur ses ordres, traversèrent la cour sans encombre et rejoignirent Uruk et Julius.

– On a trouvé votre sœur, s’exclama Aëdine.

– Elle est où ? demanda Julius tout excité.

– Avant il faut qu’on demande à l’orc…

Valéros se tut soudainement en s’approchant de l’orc mort.

– Qu’est-ce que vous lui avez fait ?

– Il ne voulait pas parler, cet enfant de salaud, rétorqua Julius. Alors je l’ai tué. J’ai trouvé une clé sur lui.

– Bon, allons libérer votre sœur mais pas un bruit. Nous ne sommes pas seuls dans le fort. D’autres orcs sont encore présents.

– Une fois libérée, ma sœur nous aidera.

– Après avoir été enchaînée pendant plusieurs jours, je pense qu’elle est un peu trop faible pour combattre.

Le groupe retraversa la cour sans soucis, toujours sous la pluie battante, et monta discrètement l’escalier du chemin de ronde. Une fois libérée, la princesse et le frère s’enlacèrent de joie.

Andra Mortemire se massa les poignets tout en parlant.

– J’ai entendu les officiers orcs parler d’un débarquement imminent d’une armée orque sur Fort Boueux. Elle arrivera par la rivière en crue avec des radeaux. Fort Boueux ne sera alors plus qu’une base de départ pour envahir le sud. Il faut impérativement qu’on agisse vite car il est prévu que l’ennemi arrive cette nuit, guidé par des feux allumés sur les tours. Ce que je vous propose c’est qu’on utilise les catapultes qui sont au sommet des deux tours pour tirer sur les radeaux quand ils s’approcheront.

– Je rappelle que nous n’avons pas encore exploré et nettoyé l’autre tour, indiqua Aëdine.

– Donc allons-y, proposa Doom.

L’enthousiasme du barbare se communiqua en assurance dans le reste du groupe et ils sortirent de la tour tous les six. Mais une dizaine d’orcs surgissaient sur le chemin de ronde depuis la seconde tour, juste en face d’eux.

Les héros se retranchèrent dans la tour ouest et formèrent un arc de cercle devant l’entrée. Le barbare et le semi-orc se placèrent au plus près de l’ouverture, presque en embuscade. Le rodeur et la demi-elfe bandèrent leurs arcs, entourant une Andra immobile. Derrière, Julius se plaquait au mur, ne pouvant fuir davantage. Tous furent baignés par le chant galvanisant d’Uruk. En face, les orcs n’usèrent ni de manière ni de tactique et se lancèrent deux par deux dans un assaut frontal.

Les premières flèches manquèrent leurs cibles, mais Andra se révéla être une magicienne efficace. Une boule d’énergie sortit de ses mains et blessa les deux premiers orcs. Le premier round se révéla fatidique pour trois orcs, grâce à Aëdine, Uruk et Andra, Doom se précipita inutilement, Valéros blessa un quatrième ennemi, et les premiers assaillants ne firent guère de mal.

Deux autres orcs tombèrent, Aëdine se blessa. Puis la troisième vague fut bloquée, moment qu’Andra utilisa pour soigner ses compagnons d’infortune.

L’ennemi finit au contact de tous les combattants humains et parvint à tenir bon, ne perdant qu’un seul guerrier à la peau verte. Après que Doom eut transpercé sans retenue un orc, les trois derniers adversaires se révélèrent coriaces et dangereux pour les humains. Surtout pour Uruk qui subissait les coups rapides et francs.

Finalement, Doom et Uruk tuèrent chacun leur adversaire, et le dernier combattant orc nécessita l’intervention d’Andra et Aëdine en deux temps.

Les six compagnons reprirent leurs souffles en constatant les corps inertes à leurs pieds.

– Merci Julius pour votre aide, accusa Aëdine.

– Je vois que vous vous en êtes bien sortis sans moi, rétorqua le châtelain.

– Quel feignant.

Andra s’approcha de son frère et lui murmura quelque chose qu’eux seuls pouvaient entendre. Julius réagit comme s’il s’était fait rabrouer vertement.

Les héros fouillèrent les orcs et trouvèrent une autre clé. Les héros se décidèrent à aller dans la seconde tour, d’où provenaient les orcs selon Andra, et dont la porte était restée ouverte.

– D’après le nombre, vous pensez qu’il reste encore des orcs ? demanda Aëdine.

– Je pense que nous les avons tous tué, répondit Andra.

Uruk réclama des soins et Valéros lui donna une potion. Mais celle-ci se révéla peu revigorante et un court repos fut plus efficace.

Ils entrèrent dans la seconde tour et tombèrent sur une trappe dans le sol. Elle était bloquée par un verrou. Valéros prit la dernière clé trouvée sur les orcs. Elle s’inséra parfaitement dans le cadenas. Valéros ouvrit la trappe et une douzaine de soldats apparurent. Ils furent libérés et Andra les rassembla dans la cour.

– Soldats ! Je ne doute pas de votre bravoure, mais les épreuves de ces derniers jours vous ont rendus trop faibles pour vous battre. Et si vous attendez, vous n’aurez pas la force pour vous repliez. Aussi je vais vous demander de partir immédiatement pour Vireux, pendant que nous nous chargerons de retarder le débarquement à l’aide des catapultes.

Les soldats survivants ne tardèrent pas à partir. Andra demanda à allumer les feux de guidage, comme cela avait été convenu par les orcs, afin de mieux tromper l’ennemi et l’amener sous les tirs de catapultes installées au sommet des tours. Mais les engins de guerre se révélèrent inutilisables en leur état. Les héros se divisèrent en deux groupes et chacun s’employa à réparer une catapulte. Il fallut une heure de labeur pour parvenir à un résultat convaincant.

La nuit était déjà bien avancée quand les catapultes furent prêtes et que la pluie cessa. Les nuages se dispersèrent rapidement et une lune franche et pleine inonda le lac temporaire de sa lumière crue.

Valéros prit l’initiative de profiter de ce moment de répit pour faire le tour de la forteresse. Avec l’aide de Doom, ils préparèrent les montures pour une fuite précipitée, puis s’employèrent à piéger les bâtiments, pour la mauvaise surprise des envahisseurs. Un cadavre d’orc dans le puits suffirait à les empêcher de boire. Quelques crottins de cheval pour gâterait les derniers aliments disponibles. Les sols du donjon furent tapissés de paille enduite de poix. Valéros voulut même fermer les grandes portes de l’unique entrée du fort afin de retenir davantage les orcs à l’extérieur. Mais Andra lui ordonna de ne rien faire qui les retarderait dans leur fuite future.

Pendant ce temps-là, Aëdine et Uruk d’un côté, et Andra et Julius de l’autre, finirent de préparer les catapultes au combat. Doom et Valéros revinrent à leurs côtés.

Au sommet de chaque tour, chaque groupe s’organisa pour des tours de veille, sous une pleine lune éclairant les marécages éphémères.

L’aube n’était pas encore là que les vigiles réveillèrent les autres compagnons. Des radeaux se profilaient sur l’horizon. Des formes humanoïdes se laissaient flotter en direction des berges du fort, guidés pas les feux en haut des tours.

Andra et Aëdine se chargèrent de régler la visée et les hommes s’occupèrent de charger les premières pierres. Les premiers tirs furent timides à cause de la distance qui séparait encore les radeaux du fort, mais les projectiles qui suivirent furent plus efficaces. Une dizaine de barges de fortune se brisèrent sous les quatorze jets.

Après ces quelques réussites, Andra ordonna de rejoindre les chevaux et de partir. Julius ne se fit pas prier et fut le premier en selle. Les héros lancèrent leurs torches dans les bâtiments. La paille enduite s’enflamma rapidement. Mais Valéros fut écorché par une flèche orque.

Andrea monta derrière son frère, Valéros et Aëdine prirent le même cheval, et Uruk et Doom enfourchèrent chacun le sien. Les héros s’enfuirent au galop, laissant les orcs et les flammes prendre possession du fort.

3e partie : La voie des orcs

Les chevaux ralentirent le pas lorsqu’ils rejoignirent les soldats. Andra ordonna aux héros d’aller directement à Vireux et de préparer les défenses, Julius restant avec elle. Doom proposa qu’un seul parte au village, afin que les autres aident à combattre l’avant-garde orque, mais Andra refusa. Doom réclama alors le cheval de la princesse, afin que Aëdine et Valéros ait leurs propres chevaux, mais Andra refusa encore. Les héros partirent donc vers Vireux, s’attendant à voir arriver les soldats et son commandant vers la fin d’après-midi.

Arrivés sur place, ils cherchèrent immédiatement le bourgmestre. Ils le prévinrent du danger.

– Alors on a une mauvaise nouvelle et une encore plus mauvaise à vous annoncer, déclara Valéros. Julius revient. Et il revient avec deux cent orcs aux fesses. Il faudrait évacuer les femmes et les enfants.

– Où voulez-vous que je les évacue ? répliqua le bourgmestre.

– Je ne sais pas, mais il va falloir les envoyer loin d’ici. Car ce qui est sûr c’est qu’on va utiliser votre village pour ralentir l’avancée des orcs.

– Ça fait combien de villageois ? demanda Uruk.

– Mon village compte une cinquantaine d’habitants, répondit le bourgmestre.

– Ça peut être utile pour nous aider à tenir le village.

– Une bonne partie sont des femmes et des enfants, répliqua Doom.

– Et il y a quoi après Vireux ? demanda Uruk.

– De la forêt, beaucoup de forêt, rien que de la forêt, s’inquiéta le bourgmestre. Je ne veux pas leur faire traverser la forêt avec la nuit qui vient, face à des éclaireurs orcs sauvages.

– Et vous avez des d’hommes capables de se battre avec des armes ? demanda Valéros.

– Ils sont capables de se battre. Ils ne savent pas se battre mais ils en auront la volonté.

– Et combien d’hommes sont en état de se battre ? insista Doom.

– Une trentaine.

– Ils ont des armes ? demanda Valéros.

– Ils ont des armes mais il n’y a pas une arme par habitant.

– Et une fourche n’est pas une arme, indiqua Doom. Pas d’évacuation ; pas d’hommes formés au combat. Combien d’arcs avez-vous ?

– Une quinzaine.

– Et j’estime que les orcs vont arriver cette nuit ou demain matin, dit Valéros. Il faudrait creuser une tranchée de deux mètres de profondeur et de trois mètres de large tout autour de la palissade du village, au moins devant l’entrée.

– Ce n’est pas possible car c’est principalement de la roche.

– Vous avez du matériel de bûcherons ?

– Oui, vous pensez à quoi ?

– On va doubler les palissades et établir des barricades devant l’entrée principale.

Il fallut près de quatre heures aux villageois, aidés par les héros de Clairval, pour établir les nouvelles défenses. À ce moment-là, Andra, son frère et ses soldats arrivèrent.

– Alors qu’est que vous avez fait pour la défense du village ? demanda-t-elle à peine descendue de son cheval.

Valéros expliqua ce qu’il avait entrepris, puis il se tourna vers le bourgmestre.

– Le puits est à l’intérieur du village ?

– Oui, c’est d’ailleurs pour cela que nous nous sommes établis sur ce promontoire rocheux.

– Avez-vous beaucoup de seaux ou de récipients de bonne taille ?

– Oui.

– il faudrait alors les remplir et les disposer un peu partout dans le village.

– Pour éteindre les incendies si les orcs lancent des flèches enflammées, devina Doom.

– De plus, intervint Andra, on va demander aux femmes et au enfants de se barricader dans les maisons. Ils risquent plus de nous gêner que de nous aider. Ça va pour tout le monde ?

Andra ordonna à ses soldats de se répartir dans le village. Valéros se permit d’intervenir.

– Vous devriez les laisser se reposer, plutôt qu’ils fassent les plantons debout à attendre. Qu’ils se reposent là où vous les aurez envoyé. L’aubergiste va leur apporter à manger et ils seront plus frais quand on sonnera l’alerte.

– Ce n’est pas la peine. L’avant-garde orc va arriver au crépuscule et il y a encore beaucoup de choses à préparer. Et vous avez prévu de nous éclairer ?

– On va mettre des torches un peu partout.

– Vous allez le faire mais vous n’y aviez pas penser, avouez.

– Si, mais juste à l’instant, admit Valéros.

Uruk se pencha vers Doom et murmura.

– Comment elle le rabaisse, notre rodeur.

– Si on ne s’est pas mariés, ce n’est pas pour ce faire emmerder sur le champ de bataille.

Doom eut soudain une idée à partager.

– On ne devrait pas envoyer un coursier prévenir Clairval et réclamer de l’aide ?

– Envoyez quelqu’un à cheval, ordonna Valéros au bourgmestre.

– Tous nos messagers sont déjà partis depuis quelques jours.

– Andra, ne devrions-nous pas envoyer un de vos soldats ? demanda Doom. Il serait bon de prévenir le Baron de Hautepierre, afin qu’il prépare son village à l’invasion et qu’il envoie à son tour des coursiers pour réclamer des renforts.

– Et vous voulez vous dévouer comme coursier ? rétorqua Andréa.

– Je suis plutôt en bonne forme, donc il serait préférable que je reste ici. Non, je pensait plutôt au soldat le plus faible de votre bataillon.

– Sachez qu’aucun de mes hommes n’accepterait de partir et que tous sont encore bons pour le combat à venir.

– Et Julius ? proposa Aëdine. Envoyons Julius.

Andra Mortemire secoua la tête.

– Quant à Julius, bien que je l’aime, je sais ce qu’il n’est pas : courageux. Donc si je le laisse partir, il s’enfuira sans jamais qu’on le retrouve.

– Et une femme ou un enfant, à partir de huit ans, proposa Doom.

– La forêt va être remplie d’orcs.

– La forêt est à l’opposé du front et des orcs, insista Doom.

– Ecoutez-moi clairement : je refuse de laisser le moindre soldat ou villageois à la merci de ces brutes sanguinaires. J’en ai personnellement la charge à partir de maintenant.

Doom se résigna devant cette autorité.

– Bon ben on a plus qu’attendre, quoi.

Un soldat les appela. Depuis la palissade, ils aperçurent des éclaireurs orcs à la lisière de la forêt. Ils restaient sous le couvert des arbres.

Quand dix humanoïdes difficilement reconnaissables s’approchèrent lentement du village. À la lumière lunaire, tous reconnurent des zombies, titubant et parfois incomplets. Les créatures se dirigeaient droit vers les portes, guidées comme des marionnettes. Valéros n’hésita pas et ficha une flèche au milieu d’un crâne. Le zombie tomba, puis se relèva.

– Donc on a pas le choix, indiqua Doom. Faut sortir pour s’en débarrasser. Allez, on va se les faire.

Valéros bloqua Doom.

– Ok, on y va mais avec Andra et cinq de ses hommes.

– Allez-y en premier, j’aviserai si besoin, lui répondit-elle. Je garde mes troupes pour plus tard.

Uruk réclama une arme plus efficace que sa masse et obtint l’épée d’un soldat.

– Bourgmestre, envoyez-nous quelques hommes, ordonna Valéros.

– Les hommes se sont barricadés depuis l’arrivée des soldats.

– Mais il n’y a que douze soldats, hurla Doom. On ne va pas tenir le village avec douze soldats !

– Les villageois ne sont que des paysans et se sont donc réfugiés avec leurs femmes et leurs enfants, le rabroua Andra. Quand cela s’avérera nécessaire, je réclamerai à ces hommes de se battre aussi.

– Qu’ils sortent, insista Valéros. Ils seront utiles pour éteindre les incendies, transporter les blessés et pour d’autres tâches annexes.

Le bourgmestre acquiesça et partit donner quelques ordres.

Les quatre héros sortirent par les portes entrouvertes, que les gardes refermèrent rapidement derrière eux. Les héros allèrent à la rencontre des zombies, sous le chant de guerre d’Uruk. Les premiers coups d’épée furent sans effet. Depuis la palissade, Andra lança alors à distance une boule de feu, qui n’élimina aucun zombie. La contre-attaque mit Valéros à terre et blessa sérieusement les autres héros.

Derrière le rang de zombies, une charge orc sortit de la forêt. Les trois héros encore debout attrapèrent Valéros inconscient et revinrent à l’intérieur du village. Andra lança un sort de soins pour le groupe au moment où ils approchaient des portes. En moins d’une minute, une centaine d’orcs encerclait le village.

Uruk rendit l’épée et se saisit de sa masse, pendant que Valéros encore mal en point vida deux fioles de soins, qui se révélèrent encore une fois frelatées et peu utiles.

– Je vais tuer le fabricant de potions de Clairval, hurla-t-il.

Devant les portes, les soldats improvisaient deux nouvelles barricades. Les héros et Andra se placèrent entre les barricades, au moment où les portes du village cédèrent. Les premiers orcs se présentèrent devant la première barricade.

Aëdine et son adversaire firent un combat acharné, pendant que Doom transperçait ses adversaires, et que Valéros et Uruk paraient les coups.

Après quelques échanges, Doom et Valéros furent blessés. Uruk vint soigner Valéros. Mais Andra reçut une flèche et Uruk supporta plus tard une belle entaille.

Les combats restaient acharnés et les combattants des deux camps résistaient vaillamment. Les barricades se révélèrent très utiles face aux assaillants nombreux, mais leurs étroitesses n’aidaient pas les héros à blesser sérieusement les orcs. Pire, Doom, Valéros et Uruk commençaient à faiblir sous la douleur des multiples blessures. Les héros décidèrent soudain de battre en retraite derrière la seconde barricade.

Mais les orcs ne se cantonnaient pas à attaquer le village par son unique entrée. Ils harcelaient aussi les défenseurs tout autour du village. À l’aide de filins et de grappins, les soldats à la peau verte s’accrochaient à la palissade de bois, se hissaient le long de la falaise naturelle et tentaient de passer par-dessus les rondins plantés à la verticale. Les quatre héros laissèrent les soldats s’occuper des assaillants sur la place du village et s’attelèrent à couper les filins ou à tailler en pièces le moindre assaillant qui réussissait à franchir la palissade.

Ces nouvelles pertes déconcertèrent les orcs qui se replièrent à la surprises des défenseurs épuisés.

Soudain, les troupes ennemies rassemblées se mirent à bramer leur chant de guerre, accompagnés par les incantations de shamans orcs. Puis les soldats à la peau verte s’approchèrent du village, lentement et en ligne, pendant que les corps de leurs camarades tombés à l’intérieur du village se relevaient.

Un cor orc tonitruant résonna quand les ennemis vivants ne furent plus qu’à quelques mètres des palissades, marchant vers l’entrée du village ou grimpant le long de la falaise à l’aide de nouveaux filins.

Mais cette résonance sembla déstabiliser l’ennemi. Puis sur l’arrière-garde orque, déboula un guerrier orc immense, chevauchant un cheval monstrueux. Au bout de son bras, sa masse tournoya et fit des ravages dans les rangs ennemis. C’était Krush, le prêtre et maître de Clairval. Derrière lui, Karoom le prêtre et maître nain et une armée naine s’invitèrent à la fête et transpercèrent les lignes assiégeantes.

Mais le combat faisait encore rage à l’intérieur du village. Valéros se retrouva en mauvaise posture, presque à l’agonie, loin de ses amis et alliés. Son adversaire s’apprêta alors à lui donner le coup de grâce, quand Andra se jeta vers lui, la magie sortant des mains. Valéros retrouva toutes sa vitalité et sa vigueur. Mais la hache orc s’abattit dans le dos d’Andra et la tua sur le coup. Valéros se releva soudain et planta son épée dans la poitrine du meurtrier.

Valéros se releva complètement et vit ce qui restait des troupes ennemies saisir la dernière possibilité de fuir le champs de bataille, courant à travers les lignes de guerriers nains et disparaissant dans la forêt ténébreuse.

S’assurant que le dernier freluquet vert était soit parti soit mort, Karoom et Krush prirent le temps de rejoindre les quatre héros. Aëdine, Uruk et Doom encerclaient Valéros, qui tenait le corps meurtri et sans vie d’Andréa Mortemire. Malgré la tragédie, les vieux héros félicitèrent les jeunes pour leur courage et leur bravoure.

Plus tard, pendant que les soldats ramassaient leurs défunts et que les villageois se débarrassaient des cadavres d’orcs, les quatre héros cherchèrent Julius dans tout le village, afin de lui annoncer la mort de sa sœur. Mais personne ne le trouva. Il était sensé de croire qu’il avait fui pendant les combats.

Anecdotes de soirée :

Bob et ses réflexions : “Inconvénient d’être à l’avant de la carriole : on se prend la flotte. Avantage : on n’a pas à supporter le lord.”

 

Un des héros répond par l’humour au noble escorté :

– Le lord vous regarde d’un air bovin, décrit le MJ.

– S’il nous regarde d’un air bovin, on ferait mieux de l’atteler avec les boeufs, non ? lance Scorpion.

 

Après deux heures de jeu où les héros ont peiné pendant presque “deux jours”, ils arrivent devant un village.

– Et là, on arrive à la porte nord du village, dit Bob Wing.

– Le village ? demanda Dom. Le nôtre, celui dont est parti en début de partie ?

 

Après six tests de force réussis, le barbare parvient seul à faire remonter la pente au chariot.

– Et nous pendant ce temps-là, on était dans le chariot bien à l’abri, répliquent les autres joueurs.

– Donc vous arrivez relativement facilement à Vireux, résuma le MJ. Contrairement à ce que j’avais espéré. Je crois que je vais faire mourir le barbare.

 

Aëdine va voir la jeune fille et entame la conversation. Le MJ nous montre son portrait pour qu’on se fasse une idée.

– Mais c’est dingue tous ces gens du Moyen-Âge qui faisaient des selfies, s’étonne Dom.

 

Aëdine quitte la fille du bourgmestre et revient auprès de ses compagnons. La joueuse revoit son portrait.

– Elle est mignonne.

– Elle est mignonne, répéte le MJ. Tu veux la draguer ? Non, parce que moi j’ai rien prévu dans ce cas-là.

 

Après un long effort pour dégager le chariot d’une portion boueuse, le MJ poursuit.

– Arrive la tombée de la nuit.

– La nuit arrive ou elle tombe ? demande Dom.

– Elle tombe, répond le MJ.

– J’esquive ! lance Scorpion.

 

En pleine nuit, un loup et le semi-orc s’apprivoisent pendant quelques minutes.

– Et là, il te demande une clope, lance Bob.

– J’ai des roulés, c’est pas grave ? répond Scorpion.

 

Quitter la princesse en laissant ou non un compagnon avec elle :

– Et si on traverse la cour et si on tombe sur cinq ou six orcs, vaut mieux qu’on soit trois qu’isolé.

– Trois moins un ça fait deux personnes, donc être deux c’est être isolé pour toi ? s’étonne Dom.

– Non, isolé si tu restes tout seul avec la princesse.

– Oui, donc deux pour toi, c’est être isolé.

 

Les orcs s’approchent pour nous attaquer. Certains héros ont tiré des projectiles.

– Et Julius fait quoi ? demande Doucedidine.

– Bah rien, il n’a qu’un bouclier et une rapière, répond le MJ.

– Et puis c’est vrai que les orcs ne sont pas attachés à une chaise, indiqua Scorpion.

 

Les héros se préparent à manipuler les catapultes.

– Mais on parle de tirer avec des catapultes, rétorque Bob. Mais est-ce qu’au moins l’un d’entre nous sait tirer à la catapulte.

– Oui, répond le MJ. Vous savez tous utiliser une catapulte.

– Apoc, c’est Morpheus, tu peux me télécharger le manuel d’une catapulte s’il te plaît.

 

Les héros se préparent à leur tour de ronde sur les tours suivants.

– Donc je rappelle que c’est la pleine lune et qu’elle éclaire la scène.

– La Seine, s’exclame Bob. C’est la Seine devant le fort ?

 

Au début de la bataille de Vireux, le MJ nous annonce l’arrivée de dix humanoïdes.

– Dix-huit, s’exclame Doucedidine.

– Non, dix humanoïdes, pas dix-huit “manoïdes”, corrige Dom

– Encore heureux parce que les “manoïdes”, c’est les pires, lance Bob.

 

Voilà pour cette “triple session” de jeu de rôle. Merci à notre MJ Olmyster pour cette belle aventure.

Toutes les illustrations sont la propriété de Black Book Éditions.

COcouvSpécial Jeu de rôle

Les Chroniques Oubliées

Retour à Clairval

1ère partie : La souillure gobeline

Asnières

 

Le jeu re rôle fait partie de ces lubies d’enfant qui grandissent avec le temps. Cela a commencé à neuf ans quand un camarade de classe montre sa boîte de Donjons & Dragons (soit en 1983). Puis on bave en voyant la publicité télévisée de Heroquest. Finalement je ne goûte à rien de tout cela durant mon enfance et mon adolescence.

Puis, comme beaucoup, je passe ma jeunesse d’adulte devant mon écran de PC et passe des nuits blanches sur Lands of Lore, Diablo et Darkstone (rhaaa), tente l’expérience de Might & Magic et de Baldur’s Gate. Mis à part les deux derniers titres dont l’ergonomie ne me plaisait pas, rien de tout cela n’avait la profondeur d’un jeu rôle pur. Mon expérience vidéo-ludophile se termina avec World of Warcraft, qui, malgré ses lieux magnifiques, ses personnages éclectiques et son histoire assez touffue,  m’a déçu et fatigué avec les quêtes journalières.

Enfin, en cette belle année 2015, Olmyster me propose de lancer l’organisation d’après-midi jeu de rôle, lui laissant bien sûr le soin de faire le Maître de jeu. L’univers choisi est celui des Chroniques Oubliées, créé par Blackbook éditions et réédité en 2014 par Casus Belli. Pour les créateurs, il s’agit de proposer des règles très épurées pour faire de l’initiation aux jeux de rôle. Toutefois le contenu reste assez complet pour faire quelques campagnes.

Nous voici donc réunis autour de la table sous l’oeil arbitral d’Olmyster. Les quatre compagnons seront joués par Doucedidine, Bob Wing, Ananas et moi-même. Doucedidine sera Aëdine, une demi-elfe druidesse. Wing sera Valéros Bobgorn, un rodeur humain. Ananas jouera Anastasia, une Bardesse humaine. Je serai Nick, un guerrier nain (surprenant !?).

Je vous propose donc de partager notre aventure ludique et imaginative. Tout ce qui suit est bien issu de nos choix, de nos réussites et de nos échecs aux dés et de l’imagination très productive de notre Maître de jeu et des quatre compères.

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Prologue

En ces temps immémoriaux où l’honneur vaillant rencontre les créatures les plus néfastes, où la magie rédemptrice côtoie la maléfience putréfiante, où la vie innocente de milliers de paysans s’oublie face à la mort chantée de quelques centaines de guerriers, les drames se conjuguent au pluriel.

Clairval fait partie de ces petits villages de plaine, qui ont été bâti en prenant sur les forêts avoisinantes une première clairière pour établir des habitations, puis s’étendre avec quelques champs nourriciers, et enfin afficher la pérennité de son existence avec un cimetière multi-centennal, sa baronnie et ses contes.

Clairval n’échappe pas non plus à la réalité de l’humanité qui, dans son combat entre le bien et le mal, marque au fer rouge ce village par des rumeurs et des légendes qui écrivent l’Histoire.

Trente ans plus tôt, la nuit précédent l’équinoxe d’automne, quinze enfants du village ont disparu. Ce n’est qu’au matin, que les habitants, les parents surtout, découvrirent avec stupeur ce terrible crime. Toutes les portes des maisons et des bâtisses avaient été fracassées à la masse gobeline, et aucun villageois et aucun animal ne semblait s’être éveillé en entendant autant de brutalité.

Les esprits étaient anéantis face à ses disparitions d’enfants, mais les corps semblaient encore plus fatigués. Les anciens et les mages comprirent rapidement que le mal venait de l’eau du puits communal, situé au centre du village. Cette unique source d’eau potable avait été empoisonnée avec un puissant soporifique.

Ainsi, une fois tout le village silencieux, les chaumières éclairées par leur seul feu de cheminée, les corps apaisées par la drogue et les esprits éteints pour un moment, une horde de gobelins s’étaient introduits dans le village, pénétrés dans les habitations inoffensives et saisis presque tous les enfants.

Après une enquête rapide, les résidents furent mis hors de cause, quasiment tous concernés par ce drame, et les soupçons se portèrent sur Cardo, un étranger saltimbanque qui avait préféré dormir sous le chêne centenaire planté au centre du village, près du puits communal, plutôt que sur une des couchettes confortables de l’auberge.

Quatre résidents du village, qui avaient l’expérience de la guerre et de l’aventure, formèrent une milice et partirent sur les quelques rares traces encore fraîches laissées par les mécréants. Ainsi à la tête de la troupe se trouvèrent Maëla Elethian, une elfe magicienne, Krush, un orque guerrier, Karoom Dhürvan, un prêtre nain, et Félindra Lupus, une rodeuse demi-elfe.

La milice retrouva Cardo prisonnier dans un camp gobelin installé à quelques kilomètres de Clairval. Après une bataille courte et facilitée par la lâcheté gobeline, Cardo fut libéré pour d’autres geôliers, auprès de qui sa langue se délia sans effort et sans caprice. Il avoua avoir agi, tout comme les gobelins, sous la menace d’un personnage très mystérieux mais très riche. Alors qu’il s’était chargé de souiller l’eau du puits, les gobelins s’étaient occupés des enfants, destinés à la baronnie. Cette baronnie située au nord de Clairval.

La milice retourna alors au village, présenta les faits au jeune bourgmestre, Monsieur Carillon, et tout le village se retrouva face aux portes closes du château. Maëla y décela de la magie noire et rien ne permis de briser le sort et encore moins les portes. Le bourgmestre se rappela l’existence d’un tunnel, partant du cimetière, passant sous les douves et les remparts, et émergeant dans les sous-sols du château.

Seuls Félindra, Maëla, Krush et Karoom acceptèrent de prendre ce chemin tortueux, nauséabond et qui s’avéra rempli de créatures étranges et malfaisantes. Dès les premières visions dans les entrailles de la baronnie, alors que les quatre volontaires étaient prêts à en découdre avec le baron et ses soldats, ils découvrirent un personnel pétrifié par la magie et la peur. Dans la salle principale, ils retrouvèrent le baron, épuisé par la peur, tiraillé par la honte, entre deux geôliers ogres.

S’en suivit un combat titanesque entre ces géants et les quatre frêles combattants, des masses longues et lourdes contre des lames fines et des filets de magie, des chairs bestiales face à des corps fragiles et épuisés. Les quatre courageux s’en sortirent et par maintes entailles et réussites, mirent à terre les deux créatures. Le baron, libéré, s’agenouilla de reconnaissance et parla d’un nécromancien, l’esprit malin à l’origine de tous ces malheurs, qui se préparait à consommer les âmes des enfants pour alimenter son propre pouvoir.

Les quatre compagnons s’introduisirent donc dans le donjon, montèrent son haut escalier, firent face au nécromancien, entaillèrent sa chair, dispersèrent son esprit, brisèrent son incantation, et anéantirent son projet. Les enfants et tout le personnel de la baronnie furent libérés, les parents furent reconnaissants et tout le village célébra la victoire des quatre braves.

De nos jours, ces quatre héros légendaires ont préféré, depuis longtemps, une retraite paisible dans une clairière, simplement appelé la Clairière des Héros. Chacun a recherché et trouvé son chemin vers la respectabilité et la sagesse, mais tous ont su partager leur savoir et leur bonté en instruisant régulièrement quelques enfants natifs de Clairval. À leur tour, ces courageux parcourent de vastes territoires, apprennent maintes techniques de combat, parfairent leurs sorts de magie, et dispersent générosité et bravoure.

1ère partie : La souillure gobeline

Au milieu d’une forêt dense et battue par une pluie dantesque, une large route, ressemblant plus à un sentier avec sa terre gris-brun et ses ornières profondes, subit les affres inhabituelles des marchands et des voyageurs. Cette route n’amenait pas à une ville dense et capitale pour la région, mais à un simple village de paysans et d’artisans.

C’était l’unique voie de circulation qui mènait à Clairval. De nombreux voyageurs curieux, quelques marchands ambulants et de rares artistes se dirigeaient vers le village, dont la renommée venait de son drame passé, de son histoire connue de tous et de ses quatre maîtres honorifiques installés à la Clairière des Héros. Toute cette agitation était la conséquence d’un projet méticuleux et colossale que  l’un d’eux s’était mis en tête de réaliser.

Karoom Dhürvan, nain et maître prêtre, construisait depuis trente ans, à la seule force de ses mains et de sa volonté, un temple dédié à l’exploit que ses compagnons et lui-même avaient réussi en sauvant les enfants du village. Ce monument commémoratif était, enfin diront certains, terminé et son inauguration était organisée pour l’équinoxe d’automne.

Parmi les voyageurs et entre les chariots, quatre aventuriers ne pouvaient rater cet évènement. Après un mois d’absence à parcourir les plaines hasardeuses, les rivages escarpées et les montagnes traitresses, ces compagnons de route et de gloire revenaient à leur village d’enfance.

Valéros Bobgorn ouvrait la marche, son visage de Rôdeur caché sous une capuche de lin. L’eau commençait à s’infiltrer entre sa tunique et son Armure de cuir renforcé, malgré les sangles de son sac à dos. Bien que ce trentenaire grand et svelte avait le pas léger, les fourreaux de son Épée longue et de sa Dague tintaient à chacun de ses pas. Le bruissement sourd de la pluie le rassurait sur sa furtivité, bien que l’humain ne cherchait pas à l’être. Cette route le stressait malgré tout, bien loin de son environnement de prédilection, la forêt profonde et inoccupée.

Anastasia et Aëdine suivaient, marchants l’une à côté de l’autre. La frivolité et la bonne humeur de la Bardesse humaine allait de paire avec l’humour et la gentillesse de la Druidesse demi-elfe. Elles s’amusaient à dévisager, à deviner et à deviser sur les voyageurs, leurs origines et leurs accoutrements. Toutefois, elles paraissaient encore plus étranges que ces étrangers qu’elles croisaient.

La jeune Anastasia aurait pu passer pour une artiste itinérante banale, avec cette Cornemuse qui la rendait encore plus menue avec sa corpulence affinée, mais harnachée sous une Armure de cuir et avec une ceinture d’où pendait une Dague et une Rapière, plus d’un brigand aurait hésité sur sa véritable nature.

Aussi âgée que Valéros, Aëdine avait le teint basané typique d’une demi-elfe. Mais cette disciple de Mère Nature marchait fièrement, portant davantage son Bâton que celui-ci ne la portait. Son Armure de cuir la protégeait des dangers de la vie aventureuse, mais son Arc court pour la chasse et sa Dague à dépecer lui apportait sa subsistance.

Derrière, Nick le nain fermait la marche, grommelant de ne pouvoir voir de loin les alentours et les bords du chemin, au milieu de cette foule et des carrioles, et donc encore moins les dangers qui pouvaient surgir des coins sombres de la forêt. Toutefois il savait que cette angoisse n’était pas naturelle, mais conditionnée par les habitudes que son père lui avait transmis. Surtout qu’avec sa condition de Guerrier, sa Côte de maille qui tintait à chacun de ses pas, la main sur le pommeau de son Épée longue à la ceinture, un Bouclier sur le dos et sa Hache à deux mains coincé entre les deux, que pouvait-il bien craindre de quelques malandrins et vagabonds de campagne ?

Les quatre compères avaient quitté Clairval un petit matin d’été, les pieds dans l’herbe verdoyante, la tête aérée par la brise fraîche, et l’esprit porté vers le lointain rosé de l’aube. Empreints de leçons apprises et d’histoires héroïques, les novices avaient tenté la quête de la curiosité, celle située entre la réalité de la vie et l’immensité du monde.

Aëdine et Anastasia étaient originaire du village, et savaient qu’au bout de cette route elles retrouveraient leurs amis, leurs habitudes et ces vieux pères qui seraient heureux de revoir leurs filles, derniers enfants survivants de grand fratrie.

Valéros avait aussi vécu à Clairval et connaissait Aëdine depuis son enfance, mais les résonances psychologiques d’avoir été enlevé par le Nécromancien avaient usés les nerfs de ses parents, qui déménagèrent avant ses dix ans. Toutefois l’adolescent revint vers ce parfum d’enfance et des leçons appropriés auprès des maîtres de la Clairière des Héros.

Nick arriva bien plus tard, suivant son père Chef des Gardes régionaux. C’était aussi à ce moment-là qu’il avait suivi sa formation de Guerrier, avec des leçons apprises à la Clairière des Héros, et sans cesse rabâchées par son père. Puis la section de Gardes régionaux partit pour une autre mission, un autre village à protéger, mais Nick resta avec ses nouveaux amis.

Finalement, le mal du pays rappela ces enfants à leur doux foyer. Et après des jours de voyage, une halte la nuit précédente à l’Auberge du Vieux Pont, et cette nouvelle matinée de marche sous la pluie, la mélancolie et la nostalgie emplissaient leur coeur. D’autant plus que leur pensée se portait davantage sur Karoom le maître nain, l’un des héros légendaires, et sur son étrange et interminable projet.

La pluie cessa enfin et le ciel gris-cendré se transforma en blanc laiteux, sans pour autant laisser passer les rayons du soleil. A cet instant les quatre compagnons s’arrêtèrent. Au loin, les palissades entourant l’entrée sud de Clairval était visible, ainsi que la cime du chêne centenaire au centre de la place. Mais sur leur gauche, un sentier assez large pour deux hommes perçait la forêt. Un panneau en bois sculpté indiquait le chemin vers le “Temple de Karoom”.

Les quatre aventuriers se regardèrent, sourirent et s’engagèrent dans le sentier, empreints par l’envie de voir Karoom et son oeuvre bien avant la cérémonie officielle. Ils entrèrent donc dans la forêt, quittant le bruit et la boue pour un sol plus dur et un univers plus calme. La douceur sylvestre envahissait l’odorat, captait l’ouïe et plaisait à la vue. Puis des buissons plantés apparurent et bordèrent le chemin avec des épineux qui montaient jusqu’à hauteur d’homme, créant un couloir jusqu’à une percée éblouissante.

Soudain un bruit dans les buissons, quelques feuilles bruissèrent et des pattes crissèrent sur le sol. Une créature inconnue fuyait le rempart végétal et semblait chercher une meilleure cachette. La curiosité de Valéros, soutenue par la circonspection de Nick, amena le rôdeur à examiner les buissons, au niveau des quelques feuilles tombées. Il n’aperçut rien de particulier et se baissa jusqu’aux racines sortantes du sol, sans en voir davantage au-delà des pieds d’arbuste. Sans crainte, il força son passage entre les branchages. La créature avait disparu définitivement, terrée il ne savait où.

– Ça devait être un faisan, dit-il en rejoignant ses amis.

– Un malfaisant, oui, corrigea Nick.

Le groupe reprit la marche et, arrivant à l’orée du bois, aperçut le temple. D’abord petit de si loin, leurs visions cernées par le porche végétal. Puis si majestueux, si grand, si massif au milieu de cette clairière circulaire. Le monument respirait la culture naine, avec ces roches brutes taillées et entrecroisées, avec cette apparente solidité aux lignes sans finesse. Les anciens élèves de Karoom se souvenaient des plans de l’édifice et de sa forme de marteau couché, dont les sommets culminaient maintenant devant eux à quinze mètres du sol.

– Trente ans d’une vie de nain pour bâtir ce temple, souffla Nick, admiratif.

– Y’en a qui se font vraiment chier dans leur journée, plaisanta Valéros.

Nick grogna à l’attention de Valéros. Alors que le groupe s’approchait du temple. Le guerrier nain fixa du regard ses portes massives de trois mètres de haut. Elles étaient entrouvertes de quelques centimètres. Il fit ralentir le pas, inspecta du regard les alentours, tendit l’oreille à la recherche d’un bruit inhabituel, examina les marches qui pouvaient être souillées de sang frais. Mais rien de tout ça.

– C’est normal que ce soit entrouvert, s’inquiéta Aëdine.

– Un temple nain, c’est soit grand ouvert, soit parfaitement fermé. Mais entrouvert, c’est qu’il y a un problème, répliqua Nick.

– Bah on sait pas, lança Valéros, désinvolte. Peut-être que les nains entrouvrent leur porte. De toutes façons, moi..”

Et le rôdeur s’avança fièrement et toqua à la porte. Ses amis le rejoignirent, attendant également une voix ou un bruit quelconque en retour. Mais aucun bruit ne parvint à eux par l’entre-baîllement.

– Sortons nos armes et préparons-nous au danger, proposa hardiment Nick.

Valéros rigola sur ces belles paroles et à la vision du nain mettant sa main à l’épée et le bouclier à l’avant-bras.

– D’accord, ricana le nain. Alors passe devant.

Le sourire du rôdeur s’effaça, pendant que les mains d’Aëdine serraient son bâton. Valéros fit de nouveau face à la porte et, du bout du pied, l’ouvrit doucement et facilement.

L’intérieur sombre contrastait avec la lumière blafarde de l’extérieur. Les hauts vitraux étaient cachés par des bâches immenses, empêchant la lumière naturelle d’entrer. Les quelques torches visibles, placées de manière régulières, étaient éteintes. Dès l’entrée, ils pouvaient apercevoir deux escaliers en colimaçons, emprisonnés par la pierre, qui amenaient aux balcons longeant l’avant-nef rectangulaire et la nef. De hautes colonnes se dressaient le long des murs de travée. Puis au loin, tout au fond du temple, un halo jauni éclairait partiellement et tombait sur un autel.

Aucun bruit ne résonnait dans l’édifice, plombant davantage l’atmosphère sacrée de ce futur lieu de culte. Valéros entra le premier et, avec déférence, pratiqua une génuflexion. Les autres suivirent, plus circonspects que respectueux. Le rôdeur fit tomber son sac au sol, sortit sa torche et son briquet, et finit par éclairer le narthex et les rambardes de pierre des balcons.

Soudain une cloche tinta, sonna, puis finalement et lentement gronda entre les murs massifs, glaçant les quatre aventuriers. Des cris stridents et malicieux parvinrent des balcons. À peine le temps de lever les yeux que des objets contondants tombèrent sur eux, lancés par des créatures malignes et agressives.

Aëdine resta stoïque pendant que ses amis restèrent pétrifiés d’effroi par cette cloche macabre. Elle vit des outils de maçonnerie marteler et joncher au-fur-et-à-mesure le sol. Elle parvint même à éviter un marteau et un burin. Valéros, Nick et Anastasia ne virent pas venir les autres outils. Le rôdeur subit ainsi ses premières blessures dans ce combat bizarre, lâchant un faible piaillement de douleur et sa torche, tandis que Nick et Anastasia n’eurent même pas à esquiver des lancers imparfaits.

Aëdine appella Karoom, hésitant encore sur la nature du ou des lanceurs éventuels. Et d’autres outils furent lancés, agrémentés par d’autres cris malingres. Rien qui ne soit donc de nature naine, voire sénile, mais bien des créatures maléfiques. Puis la source d’objets dangereux sembla se tarir et par chance personne ne déplora d’autres blessures.

Nick proposa alors de monter aux balcons, à l’assaut de ces bêtes. Anastasia, effrayée, se couvrit la tête avec sa gamelle, et son corps avec sa couverture. Valéros sortit enfin son épée et Aëdine prit son bâton à deux mains. Un dernier outil fut lancé sur Anastasia, qui courrait se réfugier dans un coin. Le marteau la frappa durement et son corps s’effondra sur le sol aussi sèchement et sans un gémissement. Aëdine prit l’escalier de gauche, Valéros la suivit de près, et Nick entreprit l’ascension du colimaçon de droite.

À l’étage, Aëdine rencontra deux gobelins qui la continrent dans l’escalier en balançant leurs masses. Valéros ne pouvait pas passer et patienta derrière la druidesse. Les frappes ennemies continuèrent et firent vaciller Aëdine. Elle tenta alors de forcer le passage, mais les deux masses gobelines moulinaient sans arrêt dans les airs.

Nick trouva le même nombre d’ennemis au sommet de son escalier, mais d’un mouvement rapide et certain, il trancha la tête d’un premier ennemi. Son second adversaire rata sa premier occasion. Puis les deux combattants croisèrent leurs armes, frappant à tout rompre, sans qu’aucun ne cède. Jusqu’à ce que l’épée du nain entailla le gobelin épuisé.

Pendant ce temps-là, Valéros recula pour laisser descendre Aëdine, et amener les deux gobelins à se battre dans un espace moins réduit. Alors que les deux amis redescendaient, la tactique fonctionna et les peaux-vertes suivirent leur proie. Arrivée en bas, Aëdine vit Valéros patienter sur le côté, prêt à à frapper la première vermine qui pointerait son nez. Nick vit ses amis du haut de son balcon et hésita entre lancer quelques outils, au risque de blesser ses amis, ou redescendre les rejoindre.

Aëdine se retourna alors pour porter un bon revers de bâton sur le premier crâne verdâtre, mais le coup passa au-dessus. Soudain le nain surgit et planta son épée dans le bide du gobelin, avant que celui-ci ne puisse riposter à Aëdine. Valéros entailla le second et dernier malin, qui répondit par une belle entaille dans la cuisse.

Aëdine s’écarta de la mêlée et s’agenouilla auprès d’Anastasia, qui reprenait conscience difficilement.

Nick lança à nouveau toutes ses forces contre le dernier ennemi, mais celui-ci esquiva et le nain, porté par son élan, finit au sol en s’égratignant. Valéros se retint de rire devant ce coup mémorable et s’élança pour finir ce récalcitrant, quand son arme glissa sur la tunique en cuir du gobelin et blessa également le nain trop proche. Mais les deux amis s’enragèrent contre leur propre bêtise et portèrent coup sur coup contre un adversaire coriace, agile et déterminé à survivre.

Alors Aëdine laissa Anastasia seule, rejoignit les hommes et glissa son bâton entre les corps vaillants, qui percuta de plein fouet le visage hideux de la créature.

– Un petit merdeux, celui-là, lança avec dédain le nain, repoussant du pied le corps flasque et inerte.

L’équipe se reforma autour d’Anastasia, qu’ils aidèrent à se relever. Le temple avait retrouvé son calme sacré, son silence de catacombes. Valéros ramassa sa torche pendant qu’Aëdine et Nick sortirent et allumèrent la leur. Anastasia préféra rester dans l’ombre et se glissa derrière les colonnes, à l’abri des regards de possibles autres gobelins. Le groupe décida de se séparer.

Aëdine et Nick remontèrent leurs escaliers, tandis que Valéros et Anastasia s’avancèrent vers l’autel, marchant entre les murs et les rangées de colonnes. Chacun, au fur et à mesure de sa progression, découvrit l’entièreté de l’autel nimbé de lumière dorée.

Derrière les colonnes, Valéros et Anastasia trouvèrent des alcôves. Dans chacune d’elles était hébergée une statue représentant une divinité naine. Ils les examinèrent et remarquèrent des dessins grossiers qui suggéraient une moustache sur deux déesses et un sexe sur le front d’un dieu. Sur d’autres, les profanateurs avaient tenté d’esquisser d’autres choses restant indescriptibles. Valeros porta une attention plus particulière sur une des moustaches, tandis qu’Anastasia commença à nettoyer une autre exaction. Puis le regard de Valéros se détourna vers le sol, amenant également la pointe de son épée longue dans un tas difforme et flasque.

– Ils ont fait ces gribouillis avec leur propre merde, informa Valéros, bloquant aussi sec l’action purificatrice d’Anastasia.

Nick et Aëdine se mirent à parcourir leurs balcons respectifs, surplombant la travée de bancs. Chacun tenta de tirer sur les bâches qui couvraient les vitraux afin de faire entrer davantage de lumière naturelle. Mais elles pendaient depuis une telle hauteur que les compagnons durent abandonner. Ils reprirent leur progression, surveillant leurs amis marchant en bas et leurs alentours.

A quelques pas de Valéros, un objet brillant scintilla légèrement. Il le ramassa et soupesa cette grosse clé de bronze. Il soupçonna qu’il s’agissait de celle du temple. Mais si c’était bien le cas, comment ces maudits gobelins avaient bien pu l’avoir ? Où pouvait bien être Karoom en ce moment ? La menace semblait éliminée du temple, mais qu’en était-il pour le village ? Autant de questions auxquelles les réponses devaient attendre.

Soudain son attention fut saisi par des crissements. Un coup d’oeil sur Anastasia et Valéros compris qu’il n’était pas le seul les entendre. Il porta son regard en direction de l’autel et il reconnut les raclements que faisaient des outils ferreux sur la roche. Valéros et Anastasia avancèrent jusqu’à l’autel, pendant qu’Aëdine et Nick parvenaient à l’extrémité des balcons, dominant toute la salle octogonale de l’autel.

Derrière l’autel, Valéros et Anastasia pouvaient voir des petits bras frêles et verts s’agiter, s’immobiliser, ouvrager la pierre. Puis un pas crissa, des têtes gobelines se relevèrent, Valéros enragea et les frondes lâchèrent leurs premières pierres. Le rôdeur esquiva un projectile mais un second assomma, de nouveau, la bardesse. Valéros revint sur ses pas en courant et se réfugia derrière les colonnes.

Depuis le balcon, Aëdine bandait déjà son arc, tira une première flèche, qui manqua sa cible, et encocha la deuxième. Le nain, enragé d’être aussi haut et aussi loin, lança à son tour sa hache à deux mains avec toute la force et l’élan qu’il pouvait fournir. Toutefois le poids de l’arme et la distance eurent raison de sa hardiesse, et la hache tomba lourdement et bruyamment.

Rapidement, Valéros présenta à son tour un arc, encocha, banda la corde et visa la première tête qui dépassait de l’autel. La pointe atteignit son objectif, plantant celui-ci dans le mur proche. Pendant ce temps-là, Nick parcourut en sens inverse le balcon pour rejoindre Valéros. Mais la vitesse d’un nain ne vaut pas celle d’une flèche, que tira Aëdine et qui tua par la même occasion le dernier profanateur.

Valéros sortit de son abri et marcha jusqu’à l’autel. Massif en granit orangé, il avait la forme d’une enclume et trônait sur une estrade de pierre noire. Avec circonspection, le rôdeur en fit le tour, découvrant par la même occasion le vitrail circulaire qui dirigeait la lumière sur cette oeuvre naine. Dans le mur derrière l’autel, une alcôve avait été creusée et un socle de bronze poli attendait une relique quelconque. L’enclume était gravée de symboles runiques et stylisés. Mais le coeur du texte avait été gâché par un énorme symbole. Valéros y reconnut là celui d’une tribu gobeline sévissant dans la région.

Aëdine et Nick profitaient du calme pour fouiller leurs balcons, puis redescendirent rejoindre Valéros et Anastasia. Le rôdeur s’approcha d’Anastasia et tenta de la ranimer, en vain. Il dût attendre l’expérience d’Aêdine, qui parvint à la réveiller et à la relever. Valéros fouilla à son tour autour de l’autel, pendant que Nick ramassa sa Hache à deux mains, qui ne semblait pas avoir souffert de ce lancer rageur.

– Comment tu vas, souffla Aëdine à Anastasia.

– Ça va aller.

– Tu peux examiner l’autel, demanda Valéros. Il y a des écritures naines. Tu pourrais peut-être les déchiffrer et nous en dire plus.

Anastasia marcha avec difficulté et fit le tour de l’estrade noire. Elle se baissa, lut à voix basse quelques lignes du texte runique, se redressa, puis porta son attention sur le socle de bronze dans l’alcôve située derrière l’autel.

– Ceci doit recevoir une relique dédié au dieu Thürdim. Si je me souviens bien, Karoom parlait souvent de ce dieu car il est au centre de toutes les prières dans son village natal. Il n’a pu que retourner là-bas pour trouver une relique adéquate pour son temple.

– Ça doit être pour ça qu’il n’est pas là, ajouta Valéros.

– Sortons alors, proposa Nick.

– Oui, il ne sert à rien de rester ici plus longtemps, argumenta Aëdine.

Les compagnons se regroupèrent et retournèrent vers le porche entrouvert, fouillant de temps à autre. Le groupe s’arrêta à l’entrée. Aëdine chercha encore sur le sol et les murs quelques objets intéressants ou de possibles cachettes. Anastasia profita de cette pause pour reprendre ses esprits et quelques forces. Nick et Valéros se plantèrent sur le perron et examinèrent la clairière et l’orée de la forêt, craignant d’autres menaces vertes.

Mais le calme avait aussi bien été restauré à l’extérieur qu’à l’intérieur. Les quatre aventuriers se regroupèrent à nouveau, prêts à partir.

– Que fait-on maintenant, demanda Nick.

– On retourne au village, proposa Valéros. S’il y a des gobelins ici, il peut y en avoir aussi au village.

– Je préfèrerais plutôt prendre le chemin vers le village natal de Karoom, le retrouver en chemin et l’escorter jusqu’à son retour.

– Son village est très loin dans les montagnes, répliqua Aëdine. On ne sait pas depuis quand il est parti et quand il a prévu de revenir.

– Clairval est plus proche et plus exposé à la menace gobeline, ajouta Valéros. J’insiste pour aller au village.

– Je suis d’accord, fit Aëdine.

– Moi aussi, lâcha Anastasia.

– Ok, allons-y, se résigna Nick.

Valéros se retourna et ferma les portes complètement. Il  sortit la clé de bronze qu’il avait ramassé et l’inséra dans la serrure. Elle tourna parfaitement et le pêne verrouilla définitivement le lieu sacré. Il donna la clé à Nick qui s’empressa de la coincer dans les replis de sa tunique.

Le groupe s’avança alors vers le sentier, sans relâcher leur attention, puis ils s’engagèrent dans la forêt, libérant soudain leurs esprits avec cette marche forcée, pressés de connaître le sort réservé au village de Clarival et à ses habitants.

Fin du premier épisode.