Retour à Clairval, 3ème partie : Baston chez les Knock-Knocks

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COcouvSpécial Jeu de rôle

Les Chroniques Oubliées

Retour à Clairval

3ème partie : Baston chez les Knock-Knocks

Asnières

Après une première partie bien mouvementée et une deuxième plus calme, nous retournons à Clairval sous l’oeil arbitral d’Olmyster.

Les quatre aventuriers sont toujours joués par Doucedidine, Bob Wing, Ananas et moi-même. Doucedidine est Aëdine, une demi-elfe druidesse; Wing est Valéros Bobgorn, un rodeur humain; Ananas joue Anastasia, une Bardesse humaine; je suis Nick, un guerrier nain (surprenant !?).

Je vous propose donc de partager notre aventure ludique et imaginative. Tout ce qui suit découle bien des choix, des réussites et des échecs aux dés, et de l’imagination très productive de notre Maître de jeu et des quatre joueurs, et du conteur bien sûr. Sans omettre les incohérences de nos oublis.

Résumé des aventures précédentes:

Après de longs mois d’errance, de découvertes et d’apprentissages, quatre jeunes héros revinrent dans leur village d’enfance, Clairval, pour un évènement particulier: l’inauguration du Temple de Karoom.

Nick le guerrier nain, Aëdine la druidesse demi-elfe, Valéros le rodeur humain et Anastasia la bardesse humaine ne voulaient manquer cet évènement sous aucun prétexte, car Karoom était l’un de leurs mentors. Le prêtre nain faisait parti d’un groupe de quatre anciens héros qui avait sauvé le village trente ans plutôt d’une terrible menace, quand un nécromancien enleva tous les enfants du village afin de les sacrifier à son démon.

Le temple, que Karoom avait construit pendant ces trente années, devait commémorer cet évènement, et le village se préparait pour les festivités du lendemain, à l’équinoxe d’automne, quand les quatre jeunes héros arrivèrent sous la pluie. Sur leur chemin, ils s’arrêtèrent au temple pour saluer Karoom et profiter du temple avant la cohue. Mais ils découvrirent le lieu saccagé par des gobelins et l’absence de Karoom.

Arrivés au village, ils prévinrent le bourgmestre, se restaurèrent et retrouvèrent quelques connaissances. Puis vint la nuit, mouvementée, où le village fut parcourut par un groupe de pilleurs gobelins. Les quatre héros parviennent à tuer quelques créatures, mais les villageois furent apeurés, se rappelant la tragédie subie trois décennies plus tôt. Le bourgmestre calma ses ouailles et les invita à patienter jusqu’au lendemain.

À l’aube, les fermiers annoncèrent le massacre de leurs bêtes et le vol de trois vaches, tandis qu’un père pleura la disparition de son fils. Il fut alors entendu par tous que la chasse devait se faire, mais le baron local, Rodrigue de Haute-Pierre, un des anciens héros, calma les villageois inexpérimentés dans l’affrontement contre des viles créatures, et désigna les quatre jeunes aventuriers comme les hérauts du village qui iront seuls enquêter sur ceux qui avaient mené cette razzia et ramener l’enfant sain et sauf.

3ème partie : Baston chez les Knock-knocks

Nantis de leur nouvelle mission par le baron et le bourgmestre de Clairval, les quatre aventuriers quittèrent la place du village, grouillante de gens, tantôt frustrés de ne pas participer à la poursuite, tantôt rassurés de rester à l’abri dans le village.

Nick le nain, Aëdine le demi-elfe, Anastasia et Valéros les humains entamèrent leur marche vers la sortie du village, sous une pluie naissante. Au milieu du bruissement de leurs pas et du clapotis des gouttes, ils discutèrent de l’action à mener et tombèrent tous d’accord pour aller directement à la Clairière des Héros, retrouver leurs anciens mentors, dans l’espoir de trouver quelques explications sur l’absence de Karoom.

À peine sortis du village, ils virent sur un rocher au bord de la route le vieux baron Rodrigue de Haute Pierre qui semblait patienter. Alors qu’ils venaient juste de le quitter.

– Bah qu’est-ce que vous faîtes là, Baron, s’étonna en premier Valéros.

Le baron découvrit quelques dents.

– Vous savez, quand on nait roturier, on n’en devient pas baron sans quelques talents.

– Vous avez été un voleur autrefois. Mais vous avez fait vite quand même, s’amusa Aëdine.

– Peu m’importe, éluda le vieillard. Moi, j’ai une ou deux choses pour vous.

Il passa une main dans son dos et ramena devant lui une besace. D’une main agile, il sortit une fiole de métal.

– Ceci est une fiole de vie. D’une gorgée, elle peut soigner vos blessures. De plusieurs, vous pourriez retrouver toute votre force. Mais attention, cette fiole n’en contient que trois.

Il tendit la main vers Valéros, qui se saisit de la fiole sans discuter. Il en sortit une autre pour Aëdine et une troisième pour Nick. Puis il se tourna vers Anastasia.

– Alors convaincu de la futilité de l’or, ou tu préfères t’y tenir et vouloir que de l’or ?

Anastasia pouffa.

– Bah, non, je ne veux pas que de l’or.

Le baron lui donna à son tour une fiole, avec un sourire entendu. Puis il dévisagea chacun des jeunes aventuriers.

– Merci, fit Aëdine.

– J’ai aussi un conseil que je pouvais difficilement vous prodiguer devant mes ouailles.

Il garda le silence un instant.

– Sachez qu’il y a gobelin et gobelin, et que ceux qui ont agi cette nuit ont eu un comportement assez surprenant. Ne frappez pas comme des sourds, c’est vraiment ce que je vous conseille. Ne tuez pas aveuglément sous prétexte que ce sont des gobelins. Parce qu’encore une fois, je trouve que ces gobelins agissent bizarrement pour des gobelins.

– C’est à dire, c’est quoi le comportement normal d’un gobelin, s’interrogea Aëdine.

– Les gobelins, normalement, ne seraient jamais rentrés dans le village. Cela ne s’était jamais produit avant les fameux évènements, et plus depuis. Ils ont vraiment un comportement très étrange pour des gobelins. Normalement, ils ne s’approchaient plus du village. Et surtout ne perdez pas de vue que votre but est de retrouver un enfant, pas d’éradiquer des êtres, aussi nuisibles soient-ils.

– Accessoirement, on n’est pas là que pour l’enfant aussi, ajouta Nick. On n’aimerait bien savoir aussi pourquoi les gobelins se sont intéressés au Temple d’automne de Karoom.

Le baron se lèva et s’éloigna.

– Bonne chance. Je vais prier au temple pour votre réussite.

Puis il partit par le sentier du nord, celui qui amenait au nouveau temple, d’un bon pas malgré sa cécité, et disparut dans la forêt.

Valèros resta sceptique, se demandant s’ils avaient bien eu affaire au même homme, entre le vieillard du village, affable et aidé par un domestique, et ce personnage vif et espiègle. Il partagea son doute avec ses compagnons, qui ne surent quoi dire.

Ils se décidèrent à poursuivre leur route, prenant le même sentier que le baron, car la Clairière des héros se trouvait après le Temple d’Automne. Ils traversèrent ainsi la forêt, puis la clairière, longèrent le temple, tout cela sans encombres, en silence. Comme si les lieux s’étaient vidés de toutes menaces. Ou que les aventuriers savaient que le plus dur était à venir.

Après une bonne heure de marche, ils arrivèrent à une nouvelle trouée dans la forêt et tombèrent sur deux chaumières entourées d’une végétation travaillée, cernées par une palissade basse et aérée. Des fleurs poussaient au pied des murs et de la palissade, tandis que des rangs de potager se dressaient devant les bâtisses.

– C’est de la décoration elfique, se permit Valéros.

– Voilà bien un réflexion de nain, ajouta Nick le nain.

– C’est mignon et très charmant, corrigea Aëdine.

De nombreux chats s’abritaient de la pluie sous le rebord des toits

– Encore des chats, lâcha Nick, désabusé, entraînant un rire d’Aëdine.

Ils aperçurent un vieil homme vouté au milieu d’un potager, qui se releva avant qu’ils eurent franchi la palissade. L’homme garda sa bêche en main, de ses deux mains prêtes à s’en armer, et son regard scruta les arrivants, si dur, si inhospitalier. Il s’avèra être un semi-orc, qui, malgré l’âge, avait encore des muscles saillants. Sa carrure imposante était impressionnant de vitalité. Tout donnait l’envie de passer son chemin.

– Et c’est lui qui habite dans ces chaumières de tafiole, murmura Valéros.

– Va lui dire ça en face. Mais tout seul, nous on regarde, répliqua Aëdine.

– C’est Krush, informa Nick.

Le groupe s’approcha du vieux semi-orc.

– Bonjour, grogna Valéros.

Nick et Anastasia furent plus chaleureux.

– Bonjour, Krush, fit Aëdine. Tu nous reconnais ? C’est Aëdine.

– Oui, répondit sèchement Krush.

– Comment ça va, poursuivit Aëdine, refroidie.

– Bien.

– Il parait que c’est toi qui a la clé du temple ?

– Oui.

– C’est parce qu’on a récupéré une clé du temple… au temple. Au milieu de gobelins. Tu as encore la tienne ?

Krush se mit à réfléchir, longuement, les dévisagea un instant, réfléchit à nouveau. Puis il leur tourna doucement le dos et marcha vers l’une des chaumières. Il entra dans la première et se mit à farfouiller, produisant bruits et cliquetis. Il ressortit une minute après et les regarda un à un, scrutant les visages, les vêtements et les sacs.

– Donnez-moi la clé !

La rudesse de l’ordre estomaqua les aventuriers. Puis ils se dévisagèrent.

– Qui l’a déjà, demanda Aëdine.

– C’est moi, depuis la veille, répondit Nick.

– Oh, il s’énerve, chuchota Valéros.

– Je lui donne, interrogea Nick.

– Tu fais comme tu veux, ironisa Aëdine, nerveuse.

– Ah ouais, d’accord, fit Nick qui releva le manque de courage de ses amis. Mais il n’a pas répondu à notre question ?

– Oui, s’étonna Aëdine en se tournant vers Krush. Comment ça se fait que tu l’as perdue ?

– Je sais pas… Mais donnez-moi la clé, insista fortement Krush.

Nick la lui tendit et une main verdâtre la saisit.

– Vous l’avez trouvé où, interrogea Krush.

– Bah, au temple, répondit Nick. C’était des…

– Quand ?

– Hier et ce sont des gobelins qui l’avaient sur eux.

– Des gobelins ?

– Des gobelins, qui en plus ont saccagé le temple de Karoom.

– Le temple ? Et personne ne me l’a dit ?

– C’est justement ce qu’on est entrain de te dire, rétorqua Aëdine.

– Ce n’est arrivé qu’hier, ajouta Anastasia.

– Hier soir, insista Krush.

– Hier… Hier après-midi, s’agaça Nick.

– Et la nuit, ils ont attaqué le village et kidnappé un enfant, ajouta Valéros.

Krush garda la silence, dévisageant les héros.

– C’est pour ça qu’on est venu vous voir, indiqua Valéros.

Krush opina du chef.

– Donc on passait voir si tout allait bien ici, dit Aëdine.

– Oui, je suis avec mes fleurs et mes douze chats. Ça va.

– Douze chats, s’exclama Aëdine.

– Oui, douze chats. Ça pose un problème ?

– Non, non, bredouilla Aëdine. C’est un bon nombre, douze chats.

– Et sinon, on voudrait savoir comment la clé avait disparu, se permit Valéros.

– Je ne sais pas… Je ne sais pas et ce n’est pas normal, éluda Krush.

– Vous avez vu des traces d’effraction, demanda Nick.

– Aucune

– Quelqu’un est venu récemment, demanda Valéros.

– Non, personne.

– Bah en me posant la question, j’avais un peu la réponse, ironisa Valéros.

– Comme quoi vous savez réfléchir, asséna Krush.

– Félindra est là, coupa Aëdine.

– Elle n’est pas là pour le moment.

– Elle habite bien ici ?

– Normalement oui.

– Mais elle est parti où, demanda Nick. Vous avez une idée?

– Non, je ne sais pas.

Le silence se fit pendant que les regards se croisaient.

– Et avez-vous des nouvelles du nain, s’enquit Valéros.

– Karoom, corrigea Nick.

Un nouveau silence s’installa avant que Krush ne répondit.

– Karoom est parti. J’attend son retour. Il devrait déjà être revenu. Il n’est pas encore revenu. Il a peut-être eu … des complications, des empêchements, des choses qui l’ont retenu. Mais je connais Karoom, et il va revenir sans problème.

– D’accord, fit Aëdine peu convaincue.

– Est-ce que vous avez remarqué une activité de gobelins dans le coin, demanda Valéros.

– Pas dans la clairière. Vous savez, je ne sors plus de la clairière maintenant… Je vis avec mes douze chats… mes fleurs…

– Il est joli votre jardin, félicita Aëdine.

– Je n’attend plus qu’un dernier combat à la hauteur de ce que je suis, pour pouvoir mourir heureux, glissa Krush.

– Et ça vous dirait de nous accompagner ?

– Non.

La réponse sèche contredisait l’envie qu’il avait pourtant exprimé.

– Ça, c’est fait, murmura Aëdine.

– Qui va s’occuper de mes chats, ironisa Krush. Vous ?

Tous marmonnèrent, puis un silence plomba davantage l’atmosphère.

– Et pour Félindra, je ne sais vraiment pas où elle est, reprit Krush. Elle est en vadrouille. Ce n’est pas que je ne veux pas vous le dire, mais je ne le sais vraiment pas.

Les héros observèrent les alentours. Pour tous, le calcul était vite fait. Il n’y avait que deux chaumières dans la Clairière des Héros, alors que les héros en question étaient au nombre de quatre. L’un d’eux était le baron et il habitait le château.

– Le nain vit avec vous, demanda Valéros.

– Le nain ne vit pas avec nous.

– Ah bon ?

– Il est prêtre. Il se déplace sans cesse. Il évangélise.

– La deuxième maison est celle de Félindra, demanda Aëdine.

– Tout à fait.

Aëdine s’avança vers la maison de Félindra.

– Mais pourquoi vous voulez aller dans la maison de Félindra.

Aëdine s’arrêta.

– Je vous ai dit qu’elle n’est pas là, s’énerva Krush. C’est qu’elle n’est pas là ! Vous ne me faîtes pas confiance ?

– Non, non, bredouilla Aëdine. C’est pas ça, mais…

– Donc vous ne faîtes pas confiance, insista rageusement Krush.

– En même temps, vous n’avez pas vu la clé disparaître, se permit Aëdine.

– Si, si on vous fait confiance, coupa Valéros. Et là on va y aller.

– Je pense que vous devriez écouter votre compagnon, conseilla Krush.

Valéros se pencha vers Aëdine et lui murmura à l’oreille.

– Voilà, tu nous l’as énervé maintenant. On y va car j’aimerais bien que son dernier combat ce ne soit pas maintenant.

– Enfin surtout pas contre toi, corrigea Nick.

Les aventuriers dirent au revoir à Krush, sauf Aëdine qui restait refroidie par l’accueil et le comportement de Krush. Ils amorcèrent tous une marche pour sortir de la clairière.

À peine franchi l’orée des bois, les jeunes gens se regroupèrent à l’abri des regards et se concertèrent en murmures.

– Ok. Qu’est qu’on fait, commença Valéros.

– Moi, très franchement, je trouve ça super louche, répondit Nick. Après, lui, je ne sais pas.

– C’est difficile à dire avec un orc. Déjà parce qu’ils sont grognons.

– Oui, d’accord, ironisa Aëdine. Il n’a pas vu la clé disparaître… Il ne veut pas que je m’approche de la maison de Félindra.

– Il ne sait pas où elle est, indiqua Nick. Au minimum, il se contrefiche même de savoir qui fait quoi et où est qui.

– Il se moque de savoir que le nain n’est pas encore arrivé, alors qu’il aurait déjà du être là.

– Et ça se trouve, il y a quelqu’un enfermé dans la chaumière, intervint Anastasia.

– T’en penses quoi, demanda Nick à Valéros.

Le rodeur se contenta de hausser les épaules.

– Alors on fait quoi, insista Nick.

– On a qu’à rester là et tenter d’entrer dans la seconde chaumière, proposa Anastasia.

– On a quand même des gobelins en vadrouille et un enfant enlevé, rappela Valéros.

– Oui, c’est vrai, ajouta Aëdine.

– On retourne au village. Et depuis le trou, on cherche des traces de gobelins, proposa Valéros.

Tous acquiescèrent et le groupe repartit par le sentier à travers la forêt. Ils atteignirent les limites du village et le tunnel creusé la veille par les assaillants quand le soleil fut au zénith.

Ils posèrent leurs affaires en tas, se restaurèrent un peu, prenant cette courte pose avec plaisir. Mais rapidement les aventuriers se remirent à la tâche. Ils se répartirent la zone et chacun examina la terre, les végétaux, les alentours…

Plein de traces de petits pas. Dans tous les sens, frénétiques. Puis les traces se dirigeaient vers le sud, autant vers le sud-ouest que vers le sud-est.

– Les gobelins sont aussi partis avec des vaches, non, demanda Valéros. Et je ne vois pas de trace de sabots. Allons voir le paysan qui les a perdues.

Après avoir traversé le village, ils parcoururent les enclos et leurs alentours proches. Ils virent le même genre de traces de pas, supplantées parfois par des marques de sabots, toutes allants vers le sud, tout autant vers le sud-est que le sud-ouest. Face à un tel constat, ils se concertèrent à nouveau et prirent le choix de marcher à travers bois, vers le sud.

Aêdine rappela l’existence d’une vieille tour de guêt et elle pointa un pinacle qui dépassait de la canopée. Elle était connue pour être hantée, et donc abandonnée. Il était donc possible que les gobelins l’avaient pris comme refuge.

Ils s’en allèrent donc d’un pas décidé à travers la forêt. Ils maintinrent autant que possible leur direction vers la vieille tour, maintenant invisible, grâce aux quelques rayons de soleil qui perçaient le feuillage. Ils se retrouvèrent ainsi à zigzaguer entre les troncs, les souches et les trous de terrier.

Les bouches étaient closes mais les oreilles restaient grandes ouvertes. Puis les sens s’aiguisèrent quand le jour déclina, quand la pénombre envahit la forêt, quand la faune se tut et que plus une brise faisait bruisser les feuilles.

La tour n’était toujours pas en vue, alors que les estomacs commençaient à crier famine et les muscles à se plaindre. Chacun compris qu’ils avaient été présomptueux de partir aussi soudainement, sans vivres et sans couchage, et que traverser la forêt prenait bien plus de temps qu’ils ne l’avaient cru. Valéros proposa de rejoindre la route principale et Nick se demanda encore combien d’heures de marche jusqu’à celle-ci. Aëdine estima, qu’avec un tel terrain, ils devaient être à quatre heure de marche de la route, mais aussi à quatre heures de la tour. Autant poursuivre.

Le groupe alluma des torches, sauf Nick qui possédait la vision nocturne. Le nain se plaça dès lors quelques mètres en avant du groupe, afin de prévenir du danger, mais surtout ne pas altérer sa bonne vue.

– La prochaine fois, murmura Valéros, quand je dis quelque chose, ne m’écoutez pas.

Après deux heures de marches, Nick aperçut des feux mobiles. Il distingua un groupe informe d’individus, levant des torches devant eux. Sans pouvoir en connaître le nombre, il les voyaient venir vers lui, sans crainte et indisciplinés. Il fit rapidement demi-tour et avertit ses compagnons. Il leur demanda d’éteindre leurs torches et de rester discrets, mais Valéros se contenta de l’abaisser au ras du sol. Ils restèrent groupés et avancèrent doucement à l’abri des troncs. Puis ils s’arrêtèrent et patientèrent que ces individus s’approchent davantage.

Les ombres et les visages se détachèrent, se détaillèrent, s’illuminèrent grâce aux flammes de leurs torches. C’étaient quatre humains, des hommes pour être précis. Leurs voix portaient la langue commune des humains et s’invectivaient sans discrétion et sans peine.

Doucement, Valéros relèva sa torche.

– Holà, héla-t-il.

Aëdine mit délicatement sa main sur le fourreau de sa dague.

– Holà, répondit un homme. Qui va là ?

– On vient de Clairval. Et on va à la tour, fit Aëdine.

– Vous allez à la vieille tour ?

– Oui, répondit Valéros.

– La vieille tour abandonnée ?

– Oui, s’agaça, Nick.

– Chercher des trésors ?

Doucement, sûrement, les inconnus s’approchaient des jeunes aventuriers. L’instinct aiguisé des apprentis héros, façonnés par les héros d’antan, leur périple de quelques années et leurs rencontres dans les divers auberges, ruelles et sentiers, cet instinct leur rappelait qu’ils s’agissaient de quatre humains, qu’ils avaient tous une forte corpulence, qu’ils portaient déjà à la main des manches en bois, dont les héros ne pouvaient voir ce qui en terminait l’extrémité. Toutefois leur raison précisa qu’ils gardaient ces manches pendants contre leurs jambes, dans l’attente. Par sécurité sûrement.

– Non, non, corrigea Valéros. On ne cherche pas de trésors. Des gobelins ont attaqué notre village et ont enlevé un enfant. On essaye de les retrouver.

– Des gobelins, vous dîtes, rumina celui qui semblait être le chef.

– Ouais, lâcha Valéros, stressé d’en découdre avec ces personnages.

– Bah, écoutez, nous, en coupant nos arbres, on en a vu aucun.

– Oh des bucherons, murmura Aëdine

L’un d’eux s’approcha davantage et ramena une hache sur son épaule.

– Et vous n’avez vu aucun mouvement, interrogea Valéros. Rien du tout ? D’où est-ce que vous venez ?

– Absolument rien, mon brave.

– Et vous étiez à la tour, insista Valéros.

– Nous venez d’au-delà de la tour.

– Et vous allez où, s’enquit Aëdine, souriante et détendue. Le village est à quatre heures de marche.

– Vous savez, tout comme les pêcheurs qui vont en haute mer, nous allons en haute forêt.

Le groupe de bucherons s’esclaffa, emportant Aëdine dans leur hilarité.

– Et nous n’avons donc rien vu, ni en haute forêt, ni à la tour.

– Et donc vous en revenez de la tour, reprit Aëdine.

– Oh oui, vous connaissez les superstitions à propos de cette tour. On la dit hantée. Vous savez très bien puisque vous habitez la région. Mais y’a jamais rien eu de plus qu’hantée. Donc pour nous, il n’y a rien eu d’inhabituel.

– D’accord.

– Mais bon, nous allions installer notre campement. Si vous le voulez, venez donc partager notre repas, vous restaurer et vous reposer. Autant rester groupés.

– Oui, l’union fait la force, admit Valéros.

– Surtout dans ces contrées, ajouta le chef des bucherons.

– Oui, c’est vrai, lança Aëdine. Surtout que nous n’avons pas emmené de vivres.

– Ce n’est pas un souci.

Valéros se tourna vers ses amis.

– Alors ?

– Mouais, bougonna Nick.

– Oui, s’extasia Anastasia.

– Avec plaisir, confirma Aëdine.

Nos quatre aventuriers suivirent le groupe de bucherons sur quelques dizaines de mètres, jusqu’à une large trouée au milieu des arbres. L’installation du camp fut sommaire et chacun, héros compris, sut trouver une tâche à accomplir. Naquirent en pleine forêt un cercle de pierre, un feu en son centre, quelques couvertures au sol et rapidement une première broche qui tourna au-dessus du feu, cuisant la chair de quelques petits mammifères. La soirée fut chaleureuse, pleine d’échanges et de rires. Quiconque voyant ces hommes et ces femmes ainsi autour du foyer n’aurait pu deviner qu’une heure plus tôt un mot de travers aurait fait parler l’acier et couler le sang.

Après une bonne nuit de repos, dans le calme et la sérénité, les jeunes aventuriers retrouvèrent leur vitalité, leur aisance et leur vivacité.

Le soleil baignait déjà la forêt, passant ainsi de la nuit au jour sans l’aube d’un ciel dégagé de toute canopée. Bien avant que la flore sylvestre ne s’éveilla et ne s’exprima, les bucherons étaient déjà debout, sifflotant devant une décoction liquide qui fumait au-dessus du feu. Les bonjours silencieux ou laiteux furent les premiers mots des aventuriers. Puis chacun but du breuvage vivifiant comme une bénédiction.

Puis vint le temps pour chacun de reprendre son chemin. Le chef des bucherons leur indiqua la direction vers la tour, précisant qu’il leur restait encore deux bonnes heures de marche à travers la forêt. Il leur rappela aussi qu’ils n’avaient donc rien vu la veille. Ni gobelin, ni enfant.

– Et vous n’avez pas vu de traces de vache, demanda Aëdine.

– Oui, parce qu’ils ont aussi volé deux vaches, précisa Valéros.

– Non, répondit le chef, se retenant de rire.

Les héros quittèrent ainsi les bucherons et s’en allèrent à la tour. Comme convenu, malgré la marche forcée, ce ne fut que deux heures plus tard qu’ils découvrirent la base de la vieille tour de garde.

C’était une vieille tour décrépite, qui culminait à une vingtaine de mètres, dominant une colline pelée. Si haut perché, son chemin de ronde devait surplomber la canopée, offrant ainsi une vision lointaine sur les alentours. Mais depuis aussi longtemps qu’ils pouvaient s’en souvenir, les aventuriers natifs de la région ne l’avaient toujours connue qu’ainsi: seule, peu entretenue et sans utilité dans cette région boisée et peu encline au conflit. Malgré son âge, elle tenait encore debout, et même plutôt bien.

La rumeur la disait hantée, mais jamais cela n’avait été prouvé, bien que la rumeur fut maintes fois éprouvé par des cœurs vaillants ou des esprits logiques. L’origine de sa malédiction se transmettait de génération en génération, comme si c’était la seule histoire commune à connaître. Si le grand-père du grand-père du grand-père racontait déjà cette tragédie, alors il fallait donc remonter bien avant la construction même de la tour de guet pour fixer le début de sa hantise.

Pour rajouter au folklore, il n’y a pas une malédiction. Mais des malédictions. Au moins autant que de villages, presque autant que de familles. Il y avait l’histoire de la princesse laide et repoussante qui maudissait le prince local; le troll des bois, dernier de sa tribu, chassé par les seigneurs locaux jusqu’au dernier sang; la sorcière gobeline aussi attirante qu’une elfe, aussi aimante qu’une naine, aussi jalouse qu’une satyre, aussi dérangé qu’un feu-follet. Tant d’autres tragédies théâtralisées aidaient à perpétuer la tradition d’une tour de guet hantée, mais n’apportait aucune autre vérité que sa présence.

Arrivés au pied de la tour, ils s’arrêtèrent devant l’entrée. Anastasia distingua un colimaçon qui montait. Aucune activité ne se fit entendre et, pour le peu qu’ils voyaient depuis l’extérieur, personne ne s’était installé dedans récemment. Ils firent le tour de la construction, examinant les murs maçonnés avec de la lourde pierre, le sol couvert d’herbe folle et les rares sentiers aux ornières boueuses. Revenus devant l’entrée, ils se concertèrent. Aucun détritus, aucune trace, aucun bruit, rien ne laissait présager la venue et encore moins l’installation d’une tribu d’êtres vivants autour ou dans cette tour.

Ils décidèrent de rentrer à l’intérieur, faisant fi et face à toute malédiction. Mais rien ne se passa.

– Ouais, c’est parce qu’il fait jour, fit Valéros.

– Ou que ta trogne fait aussi peur aux fantômes qu’aux donzelles, rétorqua Nick.

Ils gravirent les premières marches du colimaçon.

– Je vous attend ici, fit Anastasia. J’ai le vertige.

– N’aie pas peur, fit Aëdine.

– Je préfère les fantômes à ces hauteurs.

– Soit, fit Valéros.

Les trois courageux gravirent les marches une à une, avec circonspection. Mais elles furent plus solides que leur apparence laissait présager. À travers les créneaux, ils virent la canopée de la forêt. Puis au nord une trouée et le faîte du château signalaient le village de Clairval. Au nord-ouest, une falaise déchiquetée surplombait la forêt. Au milieu de la forêt, un peu à l’ouest, une ligne creuse correspondait à la route principale qui allait du village, au nord, jusqu’à une fumée intense de cheminée, au sud, à l’endroit même où devait se trouver l’Auberge du Vieux Pont. Enfin, à cette fumée, la ligne de la route principale croisait une autre ligne creuse, la rivière.

De là-haut, les auspices n’étaient pas plus généreux et les indices vers les gobelins ne se révélaient pas davantage. Ils redescendirent, rejoignant Anastasia.

– Je pense qu’on devrait remonter vers le village, proposa Valéros. Maintenant la route principale est plus proche et il nous fera gagner du temps, plutôt que de remonter à travers la forêt. Comme des idiots.

Tous acquiescèrent et prirent le premier sentier vers l’ouest. Il leur fallut toutefois quatre heures de marche, et tout cela sans ennui et sans rencontre pour atteindre la route principale. Quand ils arrivèrent au croisement, Aëdine s’arrêta sèchement, tourna sur elle-même, puis s’arrêta à nouveau vers l’ouest, fixant la forêt.

– Un souci, s’enquit Nick.

– Je crois me souvenir qu’un vieux moulin à eau, en ruines, se trouve à quelques mètres d’ici.

– Autant allez voir, proposa Valéros. On ne sait jamais. C’est loin ?

– Cinq à dix minutes d’ici, informa Aëdine.

– Oui, si c’est cinq à dix minutes, ce serait dommage de ne pas vérifier.

– C’est pas très loin et ça reste au sud du village, ajouta Aëdine.

– Ok, je suis partant aussi, fit Nick.

Ils marchèrent d’un pas sûr, à nouveau dans le cœur de la forêt, sur quelques dizaines de mètre, ce qui fut effectivement une courte distance jusqu’aux ruines du moulin à eau, déjà visible à travers la végétation. Ils s’arrêtèrent dès les premiers murs dans leur champ de vision. Valéros sortit son épée et partit seul en éclaireur, restant aussi discret que possible, maintenant une marche lente et silencieuse.

Le bois se clairsemait et laissait voir les murs effondrés et quelques poutres noircies. Valéros entendait aussi le clapotis d’une rivière. Et un beuglement de vache. Valéros fit signe discrètement à ses compagnons de se rapprocher, tout en restant à couvert. Tous se retrouvèrent ainsi à l’orée des bois, ouvrant grands leurs yeux et leurs oreilles, à l’affut du moindre indice qui les mènerait vers ces gobelins tant recherchés, ou qui les préviendrait d’un guet-apens certain.

Quelques grommellements et borborygmes leur parvenaient. Le crépitement d’un feu se démarqua faiblement. Un tintement métallique perça. Puis des créatures à peaux vertes apparurent à travers les trous dans les murs.

Les aventuriers se décalèrent un peu pour mieux voir le camp ennemi.

Il y avait bien des gobelins installés dans les ruines du moulin. Et les vaches qui meuglaient confirmaient que les héros étaient sur la bonne piste. Mais à bien y regarder, ces ennemis ressemblaient de loin aux pillards qu’ils avaient vu dans le village. Tout juste un ramassis de créatures pitoyables vêtues d’oripeaux. Rien à voir avec un groupe de guerriers couverts de cuirs bouillis et armés d’épées luisantes. Des enfants, voire des nourrissons geignaient à manger auprès de femelles fatiguées. D’autres adultes dormaient à même le sol. Pour seuls possessions, quelques maigres ballots s’entassaient entre eux.

À l’écart du camp de fortune, une sentinelle s’appuyait sur une lance rouillée. Il gardait deux vaches attachées à un arbre. Contre l’un des mur, Valéros vit la troisième vache. Du moins sa tête fixée au mur, coulant et gouttant de sang sur les dernières briques empilées. D’autres sentinelles, piétinants, avachies ou assises, encerclaient le camp de réfugiés.

Après un rapide décompte, il y a douze mâles, donc douze menaces certaines. Douze menaces épuisées, molles et mal équipées.

Quelques gestes, peu de murmures, et les aventuriers établirent un plan d’attaque.

Valéros et Aëdine bandèrent leurs arcs, ciblèrent deux sentinelles, tirèrent en même temps, surprenant les gobelins. Mais ils n’arrivèrent qu’à les blesser, ce qui alerta les autres congénères. Une dizaine d’autres mâles vinrent au secours des sentinelles et les ramenèrent avec eux, derrière les murets. Aëdine et Valéros tirèrent à nouveau, sans pouvoir finir les sentinelles.

Anastasia se mit à chanter pour donner de la force à ses compagnons, pendant que les gobelins se divisaient pour approcher la forêt. Deux arrivèrent rapidement, le reste suivit plus lentement.

Aëdine et Valéros ciblèrent toujours à l’arc le plus proche ennemi. Cependant les flèches lui sifflèrent autour. Puis les quatre héros saisirent épées et bâton et s’avancèrent épées en ligne. Au milieu des ruines, les premiers gobelins blessés restaient au sol, incapables de combattre.

Anastasia pris l’initiative et tua le premier ennemi. Le second gobelin voulut venger la mort de son compagnon, et frappa Anastasia avec une masse, lui infligeant une blessure. Puis Aëdine lui répondit et le blessa, pendant que Nick planta son épée en plein cœur. Valéros eut le temps de rebander son arc et tira sur la deuxième vague, malgré son épée en main, et blessa un ennemi.

Anastasia se porta à la rencontre du blessé et le finit. Arrivant en meute, les gobelins se répartirent sur Anastasia, Nick et Valéros, laissant Aëdine libre. Le premier lança son attaque mais manqua Valéros de peu, quand le second le blessa fortement. Deux autres peaux-vertes manquèrent leurs attaques sur Nick, qui esquiva l’estoc d’un troisième. Les deux derniers ne purent toucher Anastasia. Puis Aëdine rata sa cible, au point de se blesser toute seule, pendant que Nick ajoutait une nouvelle vie à son tableau de chasse. Et Valéros manqua encore une occasion.

Une nouvelle passe d’armes se déroula, avec Anastasia qui n’atteignit aucune peau verte. Les gobelins saisirent leur chance, mais manquèrent la frêle Anastasia et Nick le nain, au point que l’un d’eux trébucha et se tua tout seul. Toutefois Valéros eut moins de chance, recevant une autre blessure importante. Mais son Instinct de survie le maintint debout. Alors Aëdine répliqua et blessa sérieusement un gobelin, pendant que Nick se farcit un ennemi concentré sur un Valéros faible.

Finalement, la dernière sentinelle encore debout s’enfuit dans la forêt, abandonnant un Valéros abasourdi par cette opportunité de frapper qui s’évanouissait. À tel point, que le rodeur se mit à le pourchasser, en vain.

Au milieu des ruines, les femmes et les enfants restèrent immobiles, certains regards inquiets, d’autres soulagés. Au milieu, un vieux mâle, portant des colliers de fétiches, restait impassible, attentiste. Valéros, n’ayant plus d’ennemi à portée, et n’en n’ayant pas eu à sa portée, courut vers le chef, poursuivi par ses compagnons de route.

Alors que les héros s’approchèrent, celui qui semblait être le chef de la tribu se leva soudainement et se protégea de ses bras.

– Gentils nous, éructa-t-il. Pas prendre petit’homme. Méchants gob’ prendre dans village petit’homme. Eux partis pour faire présent à nouveau chef, Crâne-creux. Nouveau chef méchant. Crâne-creux chassé nous de maisons.

– Et Crâne-creux gobelin ou de notre race, demanda Nick.

– Crâne-creux méchant. Crâne-creux gobelin.

Aëdine posa sa main sur les bras du chef et les lui fit baisser avec douceur, pendant que Valéros fulminait de frustration.

– Et où est Crâne Creux, demanda Aëdine.

– Dos à lumière ! Dos à lumière ! Trouver grand mur et suivre dos à lumière. Un jour de marche.

Nick se tourna vers ses amis et désigna le soleil.

– Donc on a la lumière. Il faut partir dos à la lumière, donc plein nord.

Aëdine hésita.

– Si je comprends bien, ajouta Nick.

– Ouais, mais ça dépend, insista Aëdine. Le matin ? le midi ? le soir ?

– Dans tous les cas de figure, c’est toujours au nord, insista Nick.

Valéros désigna le nord à l’intention du chef.

– Là-bas ?

– Dos à lumière, insista le chef.

Valéros pointa le sud.

– Dos à lumière, répêta le chef, jetant le trouble dans les esprits.

– Et le grand mur, c’est la falaise, expliqua Nick. Donc depuis la falaise, remonter dos à la lumière, vers le nord.

Aëdine dévisagea le chef.

– Tu peux répéter ton…

– Dos à lumière, trouver grand mur.

– La falaise est au nord-ouest, précisa Nick.

– Dos à lumière, trouver grand mur et suivre dos à lumière un jour de marche.

– Vous le trouvez affolé, demanda Valéros en pointant un doigt vers le chef.

– Si ça te chante tu peux le trucider, osa Nick.

– Oh non, trop nul, fit Valéros désemparé. Aucun plaisir.

– Bon ben, il ne nous reste plus qu’à remonter vers la falaise, lança Nick. Mais en attendant, on peut peut-être se reposer au milieu des ruines.

– Parmi ceux qu’on n’a pas trucidé, indiqua Valéros. Je suis pas sûr que ça leur chante.

– Le chef a dit que les autres étaient des méchants.

– Oui, mais de son village quand même. Ils étaient aussi clodos que lui.

– Et les vaches au fait !

– Eh oui ? Les vaches, ils les ont eu comment, demanda Aëdine.

Valéros s’approcha du chef et l’agressa de sa forte voix.

– Ouais les vaches ? Les “meuhmeuh” ?

– Vous les avez volées, demanda Aëdine, plus calmement.

– Euh vaches… village…

– Oui, on va les ramener au village, dit Aëdine.

– Euh vaches… nous faims.

Les héros n’avaient plus de patience, encore envahis par l’adrénaline du combat, et firent abstraction de tout tact ou bonté. Ils reprirent les vaches sans que les gobelins résistent, puis repartirent au village, reprenant le route principale. Anastasia et Valéros en profitèrent pour boire depuis leurs fioles de vie.

Ils arrivèrent en pleine nuit au village après une marche tranquille. Les sentinelles les reconnurent de suite, leur ouvrirent les portes et les aventuriers furent accueillis par le vieux baron Rodrigue de Haute-Pierre.

– Merci d’avoir ramener ces bestiaux.

Il les examina, puis se tourna vers les jeunes héros.

– Mais qu’en est-il de l’enfant ?

– On a appris que ce sont d’autres gobelins qui ont enlevé l’enfant, expliqua Valéros. Ils seraient du côté des falaises. Donc on va y aller demain.

– Du côté des falaises…

– Vous connaissez ce coin-là, demanda Nick. Et ce qui risque de nous attendre ?

– Bien sûr, lâcha le baron.

– Comment il s’appelle… euh… le méchant gobelin, interrogea Aëdine.

– Crâne-creux, rappela Nick.

– Vous connaissez Crâne-creux, demanda Aëdine au vieil homme.

– Je ne crois pas qu’il connaisse tous les gobelins du coin un par un, ironisa Valéros, comme pour mieux excuser la question d’Aëdine.

– Non, effectivement, fit le baron en souriant.

– Je ne sais pas, s’excusa Aëdine. Vous auriez peut-être pu entendre parler d’un nom comme ça…

– Crâne-creux, moi ça ne me dit rien, répondit le vieil homme malgré tout. Mais la seule tribu de pilleurs gobelins que je connaisse c’est la tribu des Knocks-Knocks. Et c’est eux qui vivaient tranquillement dans les collines au nord-ouest de Clairval.

– Où exactement, se permit Aëdine.

– Au nord-ouest, la falaise, lâcha Nick.

– Et c’est pour ça que je vous avais dit qu’ils n’étaient jamais venus nous ennuyer au village, rappela le baron. Mais Crâne-creux, ça ne me dit rien. Par contre si vous allez vers la falaise, c’est là que vous trouver la carrière, avec la maison de Karoom. Entre autres.

– Il n’habitait pas à la clairière avec les autres, demanda Nick.

– Non, il habitait près la carrière qui lui servait à construire son temple.

– Vous pouvez nous faire une carte du village des Knocks-Knocks, demanda Aëdine.

– Bah non, je ne peux pas vous en dire ou montrer plus. Je ne sais pas.

Les héros décidèrent de dormir dans le village. Le baron, en entendant ça, leur offrit le gîte et le couvert.

A l’aube, les jeunes héros se préparèrent, puis se regroupèrent, prêts à partir aux falaises par la route principale. Ils arrivèrent à la carrière trois heures plus tard. La première chose qu’ils virent fut la maison de Karoom, au bord de l’excavation réalisée par le nain, seul, pendant trente ans. Les jeunes gens ne purent que tomber en respect devant ce qui pouvait finalement être appelé un ouvrage, rappelant sur le fait que le peuple nain était reconnu dans le monde entier pour ses souterrains rocheux.

Soudain la porte de la maison de Karoom s’ouvrit. Apparut une elfe séduisante, avec un petit dragonnet rouge sur son épaule.

– Si vous cherchez maître Karoom, il n’est pas là, fit-elle d’une voix mélodieuse.

Il s’agissait de Maëla, la magicienne qui avait participé avec les autres anciens héros au sauvetage des enfants, trente ans plus tôt. Elle les examina un par un.

– Par le plus grand des hasards, vous ne connaîtriez pas un superbe chevalier elfe, porteur d’un gant de lumière ?

– Non, mais on n’est pas Mythic, le druide des crève-cœurs.

– Parce que je fais des rêves étranges, et j’étais venu consulter mon ami à ce sujet. Mais c’est vous que je trouve. Le destin aurait pu vous placer sur ma route dans un but précis. Il semble que ce ne soit pas le cas, même s’il est encore trop tôt pour se prononcer.

– Et vous, vous n’auriez pas vu des gobelins dans le coin, demanda gentiment Aëdine. Ils seraient avec un enfant.

Face à Maëla qui restait silencieuse, Valéros raconta leur escapade, depuis leur retour au village jusqu’à leur arrivée devant elle.

– Je suis désolé d’apprendre tout ça, chanta l’elfe, mais je pense que vous êtes maintenant assez âgés vous débrouiller seuls. Je suis désolé de manquer de temps pour une conversation cordiale, mais je dois vraiment partir immédiatement. Il y a des choses plus importantes qui requirent mon attention.

Elle leva une main et commença une incantation, puis s’interrompit rapidement.

– Une dernière chose. Il est inutile de pénétrer dans la maison de Karoom. Car elle est protégée par un sort de téléportation lointaine. Vous pourriez vous retrouver à l’autre bout du monde en un clin d’œil.

Puis elle reprit aussitôt son incantation et disparut en un clin d’œil.

Les jeunes gens ne furent pas surpris par cette magie et s’avancèrent dans la carrière. Elle était divisée en deux lots, avec d’un côté des murs de pierre blanche de très belle qualité, et de l’autre des parois de pierre presque noire plus fragile et classique. Voilà ce qui avait décidé Karoom à s’installer ici. Au fond, se dressaient donc les falaises qu’ils avaient vues depuis la tour de guet, sûrement les mêmes qu’avait cité le chef tribal gobelin.

Il était donc la mi-journée lorsqu’ils amorcèrent une marche vers le nord, à travers la forêt, longeant les hautes falaises qui les surplombaient.

– Il va falloir penser à trouver un endroit où se reposer pour la nuit, lança Aëdine.

– On se rapproche de notre objectif, répliqua Nick. Pas besoin.

– Le gobelin nous a dit une journée de marche. Et nous n’en sommes qu’à la mi-journée.

– Peu importe, coupa Valéros. Il va bien y avoir des grottes dans ces falaises.

– Je pense la même chose, ajouta Nick.

La progression s’avéra encore facile, grâce à un sentier naturel qui séparait la falaise de la forêt, où les obstacles et les éboulements restaient rares. De plus, la forêt n’était pas si dense et si sombre qu’ils le craignaient, et ils pouvaient parfois apercevoir des cervidés. Mais la fin de journée s’amorçait et ils ne trouvaient toujours pas de village ou de camp ennemi. Valéros râlait de toute cette marche, tandis que Nick se plaignait du manque d’action.

Quand un gobelours surgit derrière eux, comme s’il avait sauté de la falaise, et rugit de haine. Le gobelin géant et massif se jeta sur les héros, levant haut sa masse cloutée. Les aventuriers, présentant épées et bâton, n’eurent pas d’autre choix que de combattre en mêlée ce monstre verdâtre, armé, caparaçonné, décidé.

– Anastasia, appela Nick. Reste derrière nous !

Anastasia obéît et entonna son chant de courage.

Aëdine put frapper la première et blessa sérieusement un des membres de la créature, pendant que Nick infligeait une estafilade. Mais le gobelours balança son bras prolongé par la masse et envoya valdinguer Nick contre la falaise, qui ne fut plus qu’un corps inerte. Valéros profita du mouvement ample pour entailler sérieusement le dos du monstre.

La seconde passe d’armes voit Anastasia se mêler au combat, mais ne put toucher la moindre peau. Aëdine n’en fit pas plus. Puis elle vit le regard du gobelours la fixer, la désignant comme la prochaine cible.

Mais un nouveau rugissement arriva de la forêt, une autre créature se jeta dans la mêlée, une seconde masse cloutée s’abattit sur le groupe de combattant, et une dernière victime s’affala dans le râle et le sang.

Krush, le semi-orc, se redressa, haletant et rageur, son regard sur le cadavre du gobelours emprisonnant dans son entièreté la tête d’une masse. Il arracha son arme contondante, puis dévisagea chacun des jeunes aventuriers.

– Merci, murmura Valéros.

– Heureusement que je vous ai suivis, informa Krush.

– Ah parce que vous nous suiviez, s’étonna Aëdine.

– Depuis trois jours, demanda Nick.

Valéros, estomaqué, resta muet.

– Et vous allez vous plaindre, lâcha Krush, avec le ton inhospitalier qui le singularisait.

– Non, non, merci beaucoup, marmonna Aëdine, penaude.

– Pas du tout, fit plus franchement Valéros.

Derrière le nain se mit à gémir. Ses compagnons vinrent à lui et Aëdine parvint à le remettre sur pied. À peine redressé, assis contre la falaise, Nick consomma une gorgée de sa fiole de vie.

– Comment ça se fait que vous avez quitté votre clairière, demanda Valéros.

– Parce que je suis allez voir le baron, qui lui m’a expliquée.

– Vous expliquez quoi de plus que ce que nous vous avions dit, répliqua Aëdine.

– Les vaches, que vous avez ramenées.

– Mais on n’aurait pas pu vous en parlez, on ne les avait pas encore ramené, expliqua Valéros.

Krush dévisagea Valéros, pensif.

– Il est vrai.

Les héros se regardèrent les uns les autres.

– Nous ferez-vous l’honneur de passer la nuit avec nous, de poursuivre cette journée en notre compagnie, invita Valéros.

– Passez la nuit avec vous, fit le mi-homme, sévère.

– Oui, accepteriez-vous de rester avec nous, à moins que vous souhaitiez déjà repartir.

– Vous cherchez quoi exactement ici ?

– L’enfant qui a été enlevé, rappela Valéros.

– Et qui serait dans le village des Knock-Knocks, ajouta Nick en se relevant.

– Il est fort probable qu’il soit là-bas, précisa Aëdine.

– En tout cas, nous l’espérons, murmura Valéros.

– Quand on a récupéré les vaches, les gobelins sur place nous ont parlés du méchant Crâne-creux, fit Aëdine.

– Apparemment, il y a eu un prise de pouvoir chez les gobelins par un nouveau chef, qui a chassé certains de ses congénères, et qui serait responsable de l’enlèvement de l’enfant, informa Valéros.

– Et l’enfant serait vers les falaises, demanda Krush.

– C’est ce que le chef désavoué nous a dit, répondit Valéros. En remontant les falaises pendant une journée de marche.

– Il n’y a pas de camp Knock-knock à une journée de marche, informa Krush. La seule chose que je vois à une heure encore d’ici, c’est une entrée dans la falaise. Découverte par Karoom. Et qu’il a bouché avec un rocher. Mais c’est la seule chose aussi loin vers le nord.

– Est-ce que les gobelins auraient pu s’en emparer pour établir leur refuge, demanda Valéros.

– Tout est possible avec eux.

– Bah je propose que nous y allions, proposa Valéros à ses amis.

Ils acquiescèrent.

– Je veux bien vous accompagner, fit Krush.

Tous furent surpris.

– Ah bah, cool, lâcha Aëdine, ravie.

– Votre aide et celle de votre massue nous seront précieuses, fit un Valéros cérémonial.

– Ce que notre ami veux dire, coupa Nick, c’est enfin un vrai guerrier parmi nous.

Les femmes éclatèrent de rire pendant que Valéros marmonnait.

– Je verrais, précisa Krush. Je vous accompagne jusqu’à l’ouverture.

– D’accord, se contenta Valéros. Mettons-nous en marche. Nick, tu emmènes ton bas-relief incrusté dans la falaise ?

– Ah ah ah, força le nain.

Krush pris la tête de la marche, sautillant le long des pierres noires. Le groupe progressa en silence, à l’affut de la moindre menace. De temps en temps, l’un d’eux examinait le surplomb de la falaise.

Quand Krush arriva à un gros rocher, il sauta dessus, puis il se redressa fièrement. Il fixa les héros, d’un regard impatient, le temps qu’ils le rejoignaient. Les jeunes gens virent alors une faille fissurer la paroi, puis, derrière le rocher, une entrée naturelle assez haute et large pour laisser passer une forte créature. Mais ainsi bouchée par ce rocher de pierre noire et lisse, seule une frêle créature pouvait passer.

Krush désigna l’entrée, tout en regardant les héros, tel un chef d’armée.

– Maintenant à vous de jouer.

Et d’un saut, il descendit et disparut dans la forêt.

Les héros restèrent bouche-bée devant tant d’audace et de désinvolture. Ils reprirent rapidement leurs esprits et examinèrent le rocher. Il était assez rond pour rouler. Ils durent toutefois associer leurs forces pour le dégager, car, malgré la force du nain, l’aide de tous fut nécessaire.

Les héros entrèrent dans la cavité, sans attendre, portant armes et torches en mains. Seul le nain, qui passa le premier, se contenta de sa bonne vision nocturne. La galerie naturelle laissait la place à un seul individu pour circuler, et le plafond se trouvait à quelques centimètres de la tête de Valéros. Ils s’enfoncèrent dans les ténèbres, descendant un sentier pentu. Puis rapidement, le tunnel s’élargit jusqu’à laisser le passage pour deux et culmina à dix mètres de haut.

L’avance se fit discrète et alerte. Après quelques mètres, ils arrivèrent à un carrefour naturel, avec une fissure sur la gauche, d’un pied de large, qu’aucun d’eux ne pouvait prendre. Le nain fronça des yeux et il sembla que ce nouveau passage se rétrécissait au fur et à mesure, se terminant en cul de sac après quelques mètres. Régulièrement, d’autres fissures apparurent, que le nain examina à chaque fois, ralentissant leur progression, et qu’à chaque fois ce ne fut qu’un cul de sac.

Après une trentaine de pas, ils tombèrent sur un éboulement de roche blanche qui bouchait le passage comme une immense colonne. Les gravas provenaient des parois d’une caverne. Pour poursuivre, les aventuriers devaient escalader cet éboulement soit par la gauche, soit par la droite, voyant la faille principale se poursuivre au-delà, dans les ténèbres.

Ils prirent par la gauche, se faufilant de profil en file indienne.

La progression fut difficile, mais ils retrouvèrent rapidement plus de liberté après quelques mètres. Ils se marchaient maintenant sur un petit escarpement, voyant plus bas un autre chemin. Et un peu plus loin, en équilibre sur le bord, un rocher attendait pour écrabouiller les malheureux qui auraient choisi l’autre passage.

Ils frôlèrent le rocher et poursuivirent leur chemin. Ils arrivèrent à un autre croisement. Sur leur gauche, un goulot amenait vers une autre grotte, et sur la droite, le passage s’élargissait et bifurquait, se transformant ainsi en petite cavité. Ils décidèrent de prendre le goulot et entrèrent dans la vaste grotte, dont la voute restait hors de vue.

Puis un bruissement d’ailes se fit entendre, un cri strident cingla les oreilles et des griffes s’abattirent. C’était une attaque surprise de trois striges. Ces monstruosités, un étrange croisement entre des moustiques géants et des chauve-souris, voletaient autour des aventuriers grâce à leurs quatre ailes, et tentaient de s’agripper aux humains en s’aidant de leurs quatre pattes barbelées. Leur principal attribut ne laissait aucun doute sur leur objectif: une trompe, longue et fine, faite pour sucer le sang de leur victime.

Deux striges tournoyaient autour de Nick, ne trouvant pas de prise sur le petit corps, pendant que la suivante se saisissait de Valéros, qui saigna rapidement.

Tous les héros sortirent des dagues, seules armes efficaces à si courtes distances. Quand deux autres créatures arrivèrent par derrière et attaquèrent les jeunes femmes. Anastasia abattit sa menace d’une estocade, qui s’effondra lamentablement au sol. Aëdine n’arriva même pas à toucher son ennemi, quand Nick en tua une autre. Les trois striges blessèrent légèrement Anastasia, manquèrent Nick et Valéros. Le rodeur ne fit pas mieux, laissant fuir une strige rassasiée.

La bardesse attaqua de nouveau, sans succès, la demi-elfe eut plus de chance en infligeant une estafilade, mais le nain manqua sa cible. Les deux dernières striges s’agrippèrent à Anastasia et Nick, goûtant le sang de chacun. Valéros tenta alors de sauver un de ses amis, quand sa lame dérapa sur le cuir d’une créature et blessa Nick

Enfin Anastasia enfonça suffisamment sa dague pour se débarrasser de sa strige, et Aëdine soulagea Nick du dernier volatile.

– Merci, fit Nick à Aëdine.

Puis il se tourna vers Valéros.

– Quant à toi, faut sérieusement revoir ta formation d’armes.

Vidée des néfastes occupantes, ils examinèrent la caverne, qui se poursuivait jusqu’à un boyau ténébreux, en hauteur, tout juste assez large pour un gobelin. Ils fouillèrent aussi, sans rien trouver. Valéros en profita pour boire une gorgée de potion de vie.

Ils pénétrèrent alors dans le boyau ténébreux, difficilement, et se retrouvèrent face à un nouvel éboulis, qu’ils escaladèrent. Devant eux, s’annonçait une autre caverne haute. Mais des crissements se firent entendre, comme des petits pieds qui courraient sur le sol gravillonné. Ils se retournèrent et des petits yeux brillants de malice s’approchaient, tout cerclés de fourrures brunes et sales. Trois rats géants déboulaient sur eux comme des chiens affamés.

Nick se plaça rapidement en avant, suivit par Aëdine. Anastasia enchanta de courage ses braves amis. Mais Valéros, encore meurtri, resta derrière. Aëdine embrocha un rat de son bâton, par sa gueule grande ouverte. Mais les deux autres s’entêtèrent dans leur course folle. L’un se fourvoya contre le mur, pendant que l’autre infligea un coup critique à Nick, qui s’effondra sur le sol. Puis le rodeur tenta de participer au combat. Toutefois ses faibles forces le desservir.

Anastasia débuta la seconde passe d’arme en tuant net un rongeur. Devant tant de faciliter à se faire massacrer, le dernier assaillant préféra fuir en courant.

Les trois aventuriers se penchèrent sur le corps inerte de Nick. Chacun prodigua son savoir médicinal, s’évertua à revigorer le nain, à partager son énergie de vie. Mais rien n’y fit. Seule l’affliction s’empara du groupe. Ils se devaient d’abandonner le cadavre d’un ami cher dans ces galeries sans lumière et poursuivre leur recherche. Après un rapide adieu, sincère, Valéros renâcla à fouiller les affaires d’un héros, mais il était obligé par le bon sens de récupérer bourse et fiole de vie.

Ils reprirent leur progression dans la galerie principale et tombèrent sur un nouveau carrefour. Sur leur gauche, la roche noire s’était effondrée, faisant apparaître un nouveau tunnel naturel. Sur la droite, un second tunnel s’offrait à eux. Droit devant, le boyau semblait se rétrécir définitivement.

À la seule lumière de sa torche, Valéros s’avança vers le tunnel de gauche, suivi par Aëdine et Anastasia, qui ne pouvaient qu’avancer en file indienne. Cependant, ce tunnel se referma après quelques dizaine de pas. Ils furent donc obliger de rebrousser chemin. Quand une masse brune, caparaçonnée et longiligne, sortit du sol gravillonné, les prenant à revers. La créature se dressa de ses trois mètres de haut sans toucher la voute rocheuse, battant déjà l’air de ses fines pattes insectoïdes. Tous reconnurent l’ankheg lorsqu’il fondit sur Anastasia et que ses énormes mandibules tranchantes tentaient de percer sa chair. Aëdine et Valéros, ne pouvant rien faire, se préparaient déjà à perdre un autre compagnon de route.

COankheg

Mais Anastasia porta le vrai premier coup, blessant la tête. Puis elle évita la première attaque, ce qui frustra la bestiole. Un jet d’acide fut propulsé dans l’air. Tous purent l’esquiver.

Pendant que Valéros lançait des petits cailloux pour énerver l’insecte géant, Anastasia lui coupa une mandibule dans une belle parade, et, dans son élan, para la seconde attaque. La bardesse, ruisselant de sueurs froides, maitrisa ses émotions et infligea cette fois un coup critique. La bestiole perdait du fluide jaunâtre quand elle se redressa, émettant un cri strident de rage. Elle fondit à nouveau sur Anastasia, qui roula au sol, se faufila sous le flanc et enfonça son épée tranchante au plus profond de la bête. Avec la même agilité, la bardesse glissa entre les pattes du monstre et se retrouva derrière lui, avant que son corps s’affale bruyamment sur le sol.

Aëdine, puis Valéros montèrent sur l’exosquelette sans vie du ankheg, rejoignirent Anastasia et la félicitèrent. Valéros l’aida à récupérer son épée enfouie dans la masse inerte. Puis ils revinrent tous les trois sur leur pas et prirent le tunnel en face. Après quelques mètres, ils découvrirent que ce boyau communiquait avec la caverne des striges, se retrouvant 5 mètres au-dessus. Ils poursuivirent leur chemin, alors que le boyau se rétrécissait au fur et à mesure. Le passage devint de moins en moins praticable, mais leur effort les amena dans une nouvelle grotte, d’où perça une petite voix.

– Va-t’en ! Va-t’en, sale bête !

C’était la voix d’un enfant humain, apeuré mais brave. Ils se faufilèrent par l’entrée de la grotte et ils virent deux bambins serrés l’un contre l’autre, un humain et un gobelin, très sales et hirsutes. Le gobelin était blessé, présentant une marque comme seule une strige en faisait. L’enfant humain semblait sain et sauf.

Valéros examina la grotte, à la recherche d’un quelconque ennemi. Finalement, il se rendit compte que les gamins les fixaient, apeurés.

– Je crois qu’ils t’ont pris pour une strige, souffla Aëdine.

– Vous n’avez pas à avoir peur, fit Valéros. Nous sommes-là pour te libérer, petit.

Le petit gobelin se réfugia derrière le petit garçon, se râpant le dos contre la paroi.

– Me libérer, s’étonna le petit homme. Mais vous êtes qui ?

– On vient du village, fit Aëdine.

– On vient de Clairval, précisa Valéros.

– Ouais, mais je vais me faire gronder si vous me ramener.

– Te faire gronder par qui, demanda Aëdine d’une voix douce.

– Je suis parti du village. Moi, je voulais être avec Mox, fit l’enfant en reculant contre le frêle gobelin.

– Tu voulais jouer avec ça, lâcha Valéros.

– Mox, c’est un gentil gobelin. Il est pas comme les autres.

– Il a l’air blessé ton ami, fit Aëdine.

– Il faut soigner Mox, confirma l’enfant.

– Je ne soigne pas les gobelins, poursuivit Valéros, enragé. Et là on va rentrer. Écoute-moi bien, grand, on vient de perdre un pote pour venir te chercher, donc si tu veux, là, ton gobelin, on en a rien à foutre. Donc on rentre au village.

– Alors tu t’es échappé du village pour venir ici, chuchota Aëdine.

– Ouais, et on va en discuter, mais dehors, insista Valéros.

– Moi je sors pas si Mox vient pas, lança l’enfant.

– Moi vouloir venir, murmura Mox.

– Toi tu vas t’en prendre une et rester ici, répliqua Valéros. Et toi le moche, tu te tais et tu nous suis.

– Tu aimes bien taper les enfants, toi, se fâcha Anastasia.

– Mox, elle est où ta famille, demanda Aëdine.

– Ma famille, partie, mais moi vouloir rester avec Louki.

– Oui, mais non, ça va pas être possible ça, s’énerva Valéros.

– Allez viens avec nous, Mox, invita Aëdine. On va tous au village de Louki.

– Non mais, j’ai dit que…

Les derniers mots de Valéros s’évaporèrent en voyant Aëdine prendre la main de Louki et sortir de la grotte. Anastasia se chargea de Mox et la suivit sans discuter.

– Attendez-moi quand même un peu, là, s’égosilla Valéros.

COcaverne

Tous traversèrent les galeries sans encombres et furent accueillis par la lumière du jour. Les petits se frottèrent les yeux, se donnèrent l’accolade, puis Louki chuchota à l’oreille de Mox. Le gobelin donna une tape dans le dos du petit d’homme. Ensuite il se tourna vers les adultes.

– Je sais que vous n’êtes pas venu pour moi, mais merci quand même.

Le gobelin surpris tout le monde avec ses paroles parfaitement intelligibles dans la langue commune.

– Je crois qu’il est plus sage que je parte.

Il les salua, puis s’enfonça en boitant dans la forêt. Un sifflement se fit au-dessus de lui. Tous virent sur une branche d’arbre le petit pick-pocket de Clairval qui faisait un signe de la main à Mox. Le petit gobelin lui rendit la pareille et disparut dans la forêt.

– Vous vous rendez compte pour qui est mort Nick, fit Aëdine, abasourdie.

Le petit voleur sauta de sa branche et rejoignit Louki en souriant. Ils se saluèrent en se frappant dans les mains selon un rituel bien à eux.

Sans crier gare, Valéros leur mit une baffe à chacun.

– Bon les petits voleurs, celle-là vous ne l’avez pas volé. Maintenant vous la fermez et on va tous au village.

Valéros, énervé, marcha en silence entre les troncs, vite suivis par ses compagnonnes et les deux gamins.

Les trois compagnons arrivèrent éreintés à Clairval à la tombée de la nuit, supportant jusqu’au bout l’impertinence et la vitalité des deux gamins. Mais à peine les portes d’enceinte franchies, les petits se jetèrent dans les bras de leurs parents, au milieu des autres villageois. Un conseil public semblait se tenir et l’annonce de leur arrivée, faîte par les veilleurs, avait coupé court aux débats.

La foule murmurait en les dévisageant, puis s’écarta pour laisser passer le bourgmestre Carillon et le baron Rodrigue de Haute-Pierre.

– En voilà une agréable surprise, fit le baron, tout sourire.

– Ainsi cela devait être fait, lança Valéros. Ainsi cela fut fait.

– J’en conviens, mon ami rodeur.

Le baron, ancien voleur et toujours héros, les dévisagea un à un, un voile sombre s’emparant progressivement de son visage.

– Où est votre ami le nain ?

– Mort, fit Valéros en s’avançant brusquement au milieu de la foule.

Le rodeur ne se laissa pas rattraper par ses amies et passa la porte de l’auberge, devant un village entier ébahi et silencieux.

Plus tard, le baron tint promesse et à chacun il remit une bourse de cent pièces d’or. Puis les villageois se cotisèrent et offrirent à chacun un costume sur mesure, fabriqué avec les étoffes du marchand ambulant. Finalement, les jeunes héros se retrouvèrent cette nuit-là dans un recoin de l’auberge. Valéros se perdit dans plusieurs chopes, pendant qu’Aëdine partageait quelques souvenirs, appuyés par les rares larmes d’Anastasia.

Ainsi se finit notre premier périple organisé et géré par Olmyster. Rendez-vous pour une prochaine balade fantastique.

Et en attendant, voici en bonus un petit florilège de ce qui ne relevait pas notre périple.

 

Au moment de choisir son métier:

” Un druide, ça tire mieux à l’arc, demande Doucedidine au MJ.

– Plus loin sûr, mais mieux je ne sais pas.”

 

Ananas remplit sa fiche de personnage.

” L’âge, c’est important ?

– Oui, parce que si tu as 5 ans, on va te larguer rapidement, répond DomCo.

– Et si tu en as 75 aussi, ajouta Bob Wing.

 

L’humain à la demi-elfe:

“De toutes façons, t’es une batarde”

 

Le Maître de jeu, après de longues explications:

“Y’a plus rien à manger ? Vous avez tout manger pendant que j’expliquais les règles ?”

 

Les joueurs se retrouvent devant le temple.

” Je pousse la porte et elle s’ouvre, dit Wing.

– Mais ça se trouve, la porte on doit la tirer et pas la pousser, répliqua Ananas

– Donc je ferme la porte. Clac ! Et merde …”

 

Le nain regarde la bardesse allongée sur le sol, assommée.

” Une vraie inconsciente, cette fille.”

 

Le nain joué par DomCo touche un gobelin.

” Alors tu l’as blessé mais pas tué, indique le MJ.

– Cool, il est encore vivant, s’exclame Wing.

 

Le nain et le rodeur vont pour frapper un gobelin. Finalement, deux échecs critiques et deux blessures pour le nain.

” Non, mais j’imagine le gobelin au milieu, intervient Wing : “euh… je suis là ! Oh oh.”

 

Wing touche son premier ennemi, après beaucoup d’échecs.

” Enfin, j’ai réussi à infliger une blessure.”

 

La bardesse est assommée pour la seconde fois.

” En fait, tu vas passer le scénario à dormir, balance Wing à Ananas.

 

La bardesse récupère tous ses points de vie, soit… 4.

” C’est chiant de n’avoir que 4 points de vie, lance Ananas.

– Non, tu as un personnage avec un profil intéressant, répond le MJ.

 

Les aventuriers viennent au secours d’un marchand lors du raid sur le village.

” Donc le vendeur de sucrerie lève le doigt et montre les palissades sur la gauche, explique le MJ. Vous regardez donc tous dans cette direction.

– Non, moi je regarde le doigt, pourquoi, réplique DomCo.

 

Le baron explique la mission qu’il donne aux aventuriers.

“… et à ramener le petit Louky.

– C’est pas le petit voleur de tout à l’heure, demanda Doucedidine.

– Non pourquoi, s’étonne le MJ.

– Juste pour savoir si on le sauve ou pas.”

 

Doucedidine se blesse en voulant frapper un gobelin.

Wing au MJ: “Et les gobelins, ils n’ont pas un malus parce qu’ils sont pétés de rire ?”

 

DomCo tue une des deux menaces sur Valéros, tandis que l’autre se carapate dans la forêt.

“Je ne vais pas réussir à tuer un seul gobelin de toute la partie, lâche Wing, effaré.

 

Les héros se retrouvent devant un énorme rocher à pousser, pour pouvoir entrer dans une galerie.

” Alors vous allez faire ce qu’on appelle une règle de coopération, précise le MJ. Qui est le plus fort ?

– Déjà il faudrait savoir si c’est une action collective syndiquée ou non syndiquée, intervient DomCo.

– C’est difficile cet après-midi, s’inquiète le MJ.

 

Des rats déboulent sur les héros, dont Valéros à l’article de la mort.

” On peut s’enfuir en hurlant ?

– Et en criant “Maman”, demande le MJ.

 

De retour au village, les héros reçoivent leurs récompenses.

” Alors elle est pas belle la vie, balance le MJ.

Puis à DomCo, dont le personnage du nain est mort.

– Alors elle est pas belle la mort ?”

3 réponses
  1. Olmyster
    Olmyster dit :

    Excellent résumé. Tu es un nain scribe qui s’ignore 😉
    J’ai pris bien du plaisir à relire l’ensemble de l’aventure et celle-ci ne pourrait être qu’un prélude à une campagne bien plus longue.
    A suivre comme dirait l’autre ^^

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