ÉDEN (2018)

par Dominique Convard de Prolles (DCDP)

Science-fiction

“Du haut de ses monuments nés du progrès, je regarde l’horizon. Je pleure le passé, je vis ma peine et j’espère l’avenir. Oui, tout cela sur l’horizon de mon humanité moribonde.”

En 2105, la vie des hommes est simple et facile, car le progrès technologique a atteint son apogée. Mais l’humanité subit aussi le plus grand fléau de son histoire, mettant à mal les certitudes et les convictions de certains face à la dureté d’un monde moderne en déliquescence.

Pour votre plaisir, le premier chapitre est disponible sur cette page. Bonne lecture.

UN AUTRE JOUR AU PARADIS…

« Monsieur… »

Le sommeil est le berceau de la douceur et de la plénitude. Une douceur exquise qui mène l’individu hors du temps et de l’espace, en annihilant toute perception de l’extérieur et en déconnectant la volonté de l’action. Une plénitude soyeuse qui enveloppe l’esprit de silence, effaçant toute réalité et éradiquant tous ces sentiments de regret, de remords, de tracas, de stress et d’ennui. Ainsi dormir s’apparente à une mort éphémère, à une invisibilité ressentie, à une extinction attendue, volontaire.

« Monsieur Adam », répéta la voix atone.

Puis vient forcément le réveil. Le corps profite de cette dernière paresse musculaire, s’effaçant encore un moment au profit de l’âme, qui navigue en équilibre sur la crête frontalière entre les mirages de réalité et les brumes de conscience. Alors l’individu reste indécis, baigné dans ce miel confortable.

« Il est l’heure, monsieur Adam, hachura la voix synthétique. »

Ensuite, le tissu doux et parfumé d’un drap s’invite au contact de la peau, la fraîcheur inodore gagne les narines, l’obscurité presque totale perce à travers les paupières, et le brouhaha régulier dessine à l’oreille un tableau familier. Tous ces éléments ramènent l’âme dans son corps, guident l’esprit vers la réalité, rassurent la conscience vulnérable à propos de l’innocuité de ce qui l’entoure.

« Monsieur ? » insista le robot à la voix féminine.

Finalement, les priorités issues du conditionnement civilisé se jettent sur la conscience, comme des conquérants réclamant leur dû, et la douceur et la plénitude du sommeil s’évaporent dans le regret.

« Oui, Rose. Je suis réveillé, grogna faiblement l’humain.

— Souhaitez-vous un réveil doux ou un réveil direct ?

— Doux. S’il te plaît, murmura Adam.

— Bien, Monsieur. »

La voix artificielle disparut au profit du ronronnement d’un moteur électrique et du crissement caoutchouteux sur le plancher, lesquels se turent à leur tour à la fermeture de la porte. L’obscurité se fit à nouveau complète et Adam gagna ainsi du répit face à l’inéluctable.

« Bonjour, monsieur Évanoé », se déclencha une autre voix féminine, plus douce, plus naturelle.

Les mots se suivaient avec une parfaite fluidité, bien loin du phrasé mécanique de sa gouvernante.

« Nous sommes le vendredi seize octobre deux mille cent cinq et il est huit heures quinze. »

Des parois vitrées et occultantes commencèrent à perdre leur noirceur et la lumière naturelle d’un soleil matinal radieux et direct perça le cocon nocturne. Adam ouvrit les yeux sur cette brume blanchâtre qui dansaient sur le sol parqueté de lamelles synthétiques.

« Le soleil est levé sur Paris depuis huit heures quatorze et se couchera à dix-huit heures cinquante-sept. »

La luminosité grandissait très lentement, comme une aurore naturelle, juste ce qu’il fallait pour laisser le temps à Adam d’émerger et d’être attentif à la voix synthétique.

« Aucune incursion n’a été notée par la sécurité civile. Aucun disparu, mort ou blessé n’est à déplorer pour cette nuit. »

Alors que les rayons du soleil se faisaient plus francs et grimpaient sur les murs blancs, Adam soupira, rassuré comme l’avaient été, l’étaient ou le seraient tous les citoyens de la petite cité en écoutant ces quelques mots.

« La journée sera fortement ensoleillée. La température extérieure est de dix degrés actuellement et atteindra les vingt-deux degrés à seize heures trente-deux. »

Puis Adam sortit les jambes de sous les draps et s’assit sur le bord du lit, grimaçant d’amusement face à la banalité du journal personnalisé, ne sachant plus quand avait été rapporté la dernière alerte, ou même un enlèvement, un massacre ou un malade.

« Le trajet entre votre domicile et votre travail est certifié sûr. Les monorails parisiens sont en fonctionnement nominal. »

Quand il avait quinze ans peut-être ? Les souvenirs étaient des trésors si délicatement enfouis sous l’immédiateté du quotidien, si précieusement intimes pour son propre équilibre mental, si capricieusement inaccessibles lorsqu’il voulait s’en rappeler.

« Vous avez vingt messages en attente, dont un prioritaire du Docteur Hérasme, psychiatre. »

Non, c’était ce matin-là. La dernière alerte. Le matin avant que son foyer ne se brisât.

« Je vous souhaite une bonne journée, à vous et à votre foyer, monsieur Évanoé. »

Les parois vitrées furent totalement transparentes, le soleil chauffa le plancher, le jour fut total dans la pièce et l’humain resta immobile sous le poids du souvenir.

©Dominique Convard de Prolles 2018

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